Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/514

Cette page a été validée par deux contributeurs.
510
REVUE DES DEUX MONDES.

l’art et des idées qui le dominent. C’est pourquoi j’ose croire qu’il peut n’être pas sans intérêt de continuer ce que j’ai commencé dans cette Revue il y a cinq ans, de rassembler un certain nombre de faits caractéristiques qui puissent faire juger de l’étendue du mal et mesurer les progrès encore incertains du bien. J’ai grande confiance dans la publicité à cet égard ; c’est toujours un appel à l’avenir, alors que ce n’est point un remède pour le présent. Si chaque ami de l’histoire et de l’art national tenait note de ses souvenirs et de ses découvertes en fait de vandalisme, s’il les soumettait ensuite avec courage et persévérance au jugement du public, au risque de le fatiguer quelquefois comme je vais peut-être le faire aujourd’hui, par une nomenclature monotone et souvent triviale, il est probable que le domaine de ce vandalisme se rétrécirait de jour en jour, et dans la même mesure où l’on verrait s’accroître cette réprobation morale qui, chez toute nation civilisée, doit stigmatiser le mépris du passé et la destruction de l’histoire.

Il est juste de commencer la revue trop incomplète que je me propose de faire par le sommet de l’échelle sociale, c’est-à-dire par le gouvernement. Autant j’ai mis de violence à l’attaquer en 1833, autant je lui dois d’éloges aujourd’hui pour l’heureuse tendance qu’il manifeste en faveur de nos monumens historiques, pour la protection tardive, mais affectueuse, dont il les entoure. Ce sera un éternel honneur pour le gouvernement de juillet que cet arrêté de son premier ministre de l’intérieur, rendu presque au milieu de la confusion du combat et de toute l’effervescence de la victoire, par lequel on instituait un inspecteur-général des monumens historiques, à peu près au même moment où l’on inaugurait le roi de la révolution. C’était un admirable témoignage de confiance dans l’avenir, en même temps que de respect pour le passé. On déclarait ainsi que l’on pouvait désormais étudier et apprécier impunément ce passé, parce que toute crainte de son retour était impossible. Cet arrêté nous a valu tout d’abord un excellent rapport[1] sur les monumens d’une portion notable de l’Île-de-France, de l’Artois et du Hainaut, signé par le premier inspecteur-général, M. Vitet. C’était, si je ne me trompe, depuis les fameux rapports de Grégoire à la convention, sur la destruction des monumens, la première marque officielle d’estime donnée par un fonctionnaire public aux souvenirs de notre histoire. À cette première impulsion ont succédé, il faut le dire, de l’insouciance et de l’oubli, que l’on peut, sans trop d’injustice, attribuer aux douloureuses préoccupations qui ont rempli les premières années de notre révolution. Cependant le progrès des études historiques, forcément organisé et poussé par M. Guizot, amenait nécessairement celui des études sur l’art. Aussi vit-on

  1. Rapport à M. le ministre de l’intérieur sur les monumens, etc., des départemens de l’Oise, de l’Aisne, de la Marne, du Nord et du Pas-de-Calais, par M. L. Vitet. Paris, de l’imprimerie royale, 1831. — Depuis, M. Mérimée, qui a remplacé M. Vitet, a étendu la sphère de ses explorations, et nous a donné deux volumes pleins de renseignemens curieux sur l’état des monumens dans l’ouest et le midi de la France.