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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

primitif et à ses héritiers, alors même que la propriété aurait été aliénée depuis des siècles. « De là résulte, disait M. Wight, que beaucoup de possesseurs de vastes propriétés sont sans capacité pour voter aux élections, parce qu’ils les tiennent d’un supérieur, tandis que, au contraire, d’autres, par le seul fait d’une supériorité primordiale, conservent le droit électoral, quoique la terre qui le leur confère ne leur rapporte pas un penny par an, et leur soit parfaitement étrangère[1]. »

La représentation de l’Irlande participait de la plupart de ces inconvéniens, quoique l’acte d’union en eût corrigé quelques-uns, d’entre les plus choquans, relativement au droit électoral des grandes villes.

Lorsqu’un tel système, aussi peu admissible dans sa donnée historique que dans ses applications locales, se maintient au sein d’une des nations les plus éclairées du monde, lorsqu’il résiste si long-temps à l’opposition de la tribune et aux attaques passionnées de la presse, force est d’admettre qu’il doit se défendre par des motifs moins étranges que les bases sur lesquelles il repose. Aussi les adversaires de la réforme s’attachèrent-ils bien moins, dans tous les temps, à contester des détails d’une justification évidemment impossible, qu’à faire ressortir leurs résultats en constante harmonie avec l’esprit de la constitution, déduisant de ces résultats seuls l’apologie d’un système qui, malgré des imperfections apparentes, avait préparé à la Grande-Bretagne les plus éclatantes destinées réservées à un peuple libre.

Que les bourgs pourris fussent des propriétés particulières, qu’importe ? s’écriait-on ; n’ont-ils pas donné à l’Angleterre ses plus grands hommes, depuis les deux Pitt jusqu’à Canning ? Qu’on puisse acheter son siége à prix d’argent, est-ce donc un si grand mal ? Ne faut-il pas que la propriété soit prépondérante dans l’organisation sociale ? Le droit des corporations est-il plus absurde que celui des propriétaires à la nomination des bénéfices ecclésiastiques ? Un siége obtenu à prix d’argent déshonore-t-il plus qu’un emploi d’officier acquis de la même manière ? et, quoique les places dans l’armée s’achètent à deniers comptans, l’armée est-elle moins nationale et moins brave ? La vénalité des offices, introduite en France par le cours des évènemens, a-t-elle empêché ce pays de posséder une magistrature dont les lumières et l’intégrité furent l’une de ses plus grandes gloires ? La

  1. On Parliament, book III, chap. II.