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encore en pratique qu’en théorie : ainsi Manchester, Leeds, Birmingham, Halifax, qui, au parlement convoqué par Cromwell, avaient été représentées à raison de leur importance, médiocre à cette époque, se trouvèrent deux siècles plus tard déshéritées de tout droit politique, alors que ces cités, et d’autres avec elles, étaient devenues le siége de populations considérables, le centre des plus grandes transactions des trois royaumes. En revanche, tel rocher stérile, tel parc sans maison, tel hameau ne comptant pour unique électeur que son propriétaire, comme Gatton, ou n’ayant plus même de ruines, comme Old-Sarum, conservait un droit qui se transmettait par contrat de vente aussi régulièrement que le droit de chasse ou de champart. Un gros capitaliste payait son siége au parlement comme sa loge à l’Opéra. Un pair, possédant sept ou huit lieux privilégiés de cette espèce, en donnait un pour dot à sa fille, un pour douaire à sa femme, à la manière de ces îles d’Orient, disait spirituellement M. Shiel, dont telle appartient à la sultane favorite pour sa ceinture, telle autre pour ses babouches.

L’immoralité était bien plus profonde encore dans tout ce qui touchait aux corporations fermées, lorsque la franchise avait été concédée sous cette forme. Celle-ci se trouvait appartenir alors exclusivement aux membres de la corporation, qui, dans certaines localités, la possédaient héréditairement, qui, ailleurs, en faisaient l’objet d’un trafic avoué. Alors une demi-douzaine de burguesses nommaient à huis-clos le représentant de cinquante mille ames, et l’ivresse d’une orgie remplaçait le tumulte des hustings.

Ce mode était celui de l’Écosse entière, où tous les bourgs investis de la franchise appartenaient à des corporations fermées. Il suffit de rappeler qu’à Édimbourg, le town-council se composant de trente-deux membres, élisait entre quatre murs, et sans nulle intervention populaire, le député de plus de cent mille ames, le représentant d’une ville qui compte douze cents négocians, deux mille avocats et légistes, cent cinquante professeurs d’universités, un clergé nombreux et une multitude de grands propriétaires.

Si, en Angleterre, les élections de comté, où votait tout freeholder à 40 shellings, compensaient, par un esprit plus libre, ce qu’offraient d’humiliant et de dépravé les élections des petits bourgs, rien d’analogue n’avait lieu pour l’Écosse. Les élections de comté y présentaient un aspect bien plus étrange encore que celles des bourgs royaux. Pour être admis à y voter, il fallait tenir une terre à fief direct de la couronne, circonstance qui maintenait le droit électoral au feudataire