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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

Quels que fussent pour l’avenir les dangers de l’émancipation, dangers que M. Peel ne dissimulait pas plus, en 1829, qu’il ne l’avait fait à la session précédente, la position avait cessé d’être tenable. L’association catholique contre laquelle s’était déjà émoussé un premier bill de dissolution, avait enrôlé des millions d’hommes armés pour sa défense ; huit mille agens exécutaient ses ordres et percevaient, dans la cabane du pauvre, un impôt payé avec empressement, car la haine sait féconder jusqu’à l’indigence. Le gouvernement anglais comprit qu’il fallait briser l’association ou périr, et qu’il ne pouvait désormais l’essayer que l’émancipation de l’Irlande à la main.

Les nations, d’ailleurs, ne contemplaient pas seules ces grandes scènes populaires : des gouvernemens suivaient aussi les progrès de cette crise décisive, car la paix du monde traversait alors une de ses plus graves épreuves, et le sort de l’Orient semblait près de s’accomplir. Alors on dut méditer à Londres sur ces paroles dites à Dublin : « Le premier de vos ennemis qui parviendra à jeter cent mille mousquets en Irlande, suscitera à votre porte un auxiliaire que vous aurez peine à vaincre, ou qu’il vous faudra noyer dans une mer de sang[1]. »

L’esprit de parti recula devant le patriotisme, et en franchissant les Balkans, les Russes emportèrent l’émancipation de l’Irlande.

Pour des ministres qui se respectent, un tel revirement n’était possible que dans de telles conditions, et dans un pays doué d’un véritable esprit public. M. Peel cessa de représenter au parlement l’université d’Oxford, le premier ministre défendit sa loyauté dans un duel chevaleresque. À cela près, presque tous les soldats suivirent leurs généraux et s’en remirent à leur parole, tant est forte cette organisation des partis au sein de la Grande-Bretagne, qui donne à leurs chefs une puissance indépendante de leur talent personnel, et leur permet de stipuler au nom de cette force même !

Nous verrons, en 1835, sir Robert Peel et le duc de Wellington essayer avec moins d’habileté et de bonheur ce qui, en 1829, réussit si bien à leur patrie et à eux-mêmes. Variations subites qui, en France, passeraient pour apostasie, parce que les intérêts de partis s’y dissimulent toujours derrière des théories absolues, mais qui, en Angleterre, où les théories se formulent le plus souvent selon ces intérêts eux-mêmes, se présentent sous un jour plus favorable. Le reproche d’inconsistance auquel les Anglais se montrent si sensi-

  1. M. Shiel.