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dépendante et subordonnée, pour employer les termes sacramentels des jurisconsultes anglais[1].

Les tories ne s’y trompaient pas : l’attitude toute nouvelle que l’émancipation donnait à l’Irlande en face du peuple conquérant entraînait forcément une révolution dans le droit constitutionnel, comme dans la politique de l’Angleterre. Comment en douter maintenant que le parlement est presque exclusivement occupé de questions irlandaises, et qu’une seule entre celles-ci, le projet de disposer de l’excédant des revenus de l’église pour des objets d’utilité générale trois fois sanctionné par le vote des communes, s’élève depuis plusieurs années comme une pierre d’achoppement entre les deux chambres ?

L’Irlande émancipée a réclamé la réforme de l’établissement anglican, et celle-ci a été l’objet d’une proposition ministérielle. De plus, elle revendique, avec une persévérance énergique, tous les droits d’une égalité désormais légalement sanctionnée ; pour sa population affamée, le triste bienfait d’une taxe des pauvres ; pour sa bourgeoisie, celui des droits municipaux ; et la voix de son tribun, devenu l’appui du ministère anglais tout en gardant en réserve sa force révolutionnaire, menace aujourd’hui de rompre l’union, si, par des droits égaux et une représentation proportionnellement égale, l’Irlande n’est enfin placée sur le même pied que l’Angleterre.

Ce dernier mot résume en ce moment, et résumera pour bien long-temps encore, toute la politique du Royaume-Uni. En 1829, l’Irlande a conquis le principe ; en 1838, elle en réclame les conséquences. Voilà ce que pénétraient dès-lors et M. Peel et le duc de Wellington ; voilà pourquoi une émotion si vive perçait à travers le calme étudié de leurs officielles paroles.

Ce sont pourtant ces deux hommes qui, après une longue opposition si énergique encore en 1828, se chargèrent, l’année suivante, d’introduire le bill dans les deux chambres, de réconcilier à l’émancipation ses plus implacables adversaires, et d’obtenir pour cette mesure une triomphante majorité de cent soixante-dix-huit voix à la chambre des communes et de deux cent cinq à celle des lords.

C’est ici l’un des plus grands évènemens de l’histoire constitutionnelle d’Angleterre ; il y a, d’ailleurs, dans ce revirement soudain du ministère et dans la conduite de ses amis politiques, une révélation tout entière.

  1. Voyez, entre autres, Blackstone, of the Countries subject to the law of England, I, sec. IV.