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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

les sentimens de la propriété, en leur créant des intérêts identiques avec ceux des propriétaires du sol. C’est le grand corps des yeomen, cette gendarmerie de l’Angleterre territoriale, qui est pour elle, dans l’esprit de son organisation agricole, ce que la garde nationale est pour la France, soumise à une influence opposée.

Cette population, riche et nombreuse, est forte de la communauté de ses vœux, de ses croyances, et même de ses préjugés. Là vous entendrez encore de vieux anathèmes contre la France et le no popery retentira aux élections comme aux jours de Jacques II. Chez tous ces hommes d’une moralité sévère, mais étroite et sans amour, comme l’est presque toujours la moralité protestante, vous trouverez une haine profonde de l’Irlande, terre conquise et terre catholique, haine inextinguible à laquelle la religion anglicane imprime depuis trois siècles la double sanction du patriotisme et de la foi.

C’est ici, en effet, qu’il faut constater le trait caractéristique de cette grande race anglaise, tel qu’il se retrouve dans les deux continens, sous l’empire des principes sociaux les plus opposés. Il n’est pas une qualité de ce peuple que le sentiment religieux ne rehausse ; il n’est pas même un de ses défauts auquel il ne s’associe d’une façon plus ou moins intime. Quelque part que vous rencontriez cette forte nature, en Amérique, en Asie ou en Europe ; que vous communiquiez avec des épiscopaux, des presbytériens ou des quakers, partout vous sentirez, au premier contact, ce respect profond des choses saintes qui, s’il n’interdit ni les folies du fanatisme, ni les persécutions de la haine, protège au moins la dignité d’un peuple contre les atteintes d’un scepticisme mortel. Quelque abusive que soit la forme sous laquelle le christianisme coexiste dans l’église anglicane avec l’aristocratie et avec l’état, on n’y sent pas moins partout sa vivifiante influence ; et c’est de l’Angleterre surtout, dont la fortune est exposée à tous les vents du ciel, et les destinées soumises au choc de tant de passions, qu’on peut dire que la religion est pour elle l’ancre jetée dans la tempête.

Cette population agricole, qui, malgré son décroissement successif, monte encore à près d’un million de familles pour l’Angleterre et l’Écosse[1], qui tient presque tout entière à l’établissement anglican

  1. La population agricole de la Grande-Bretagne, d’après le recensement de 1831, est divisée ainsi qu’il suit :

    Angleterre 
    761,348 familles.
    Galles 
    73,195
    Écosse 
    126,591
    TOTAL 
    961,134 familles.

    Soit, à 5 individus par famille, 4,805,670.