Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/485

Cette page a été validée par deux contributeurs.
481
L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

seule puissance de ses habitudes, par l’énergique vitalité de croyances politiques et religieuses étroitement enlacées au mouvement des idées contemporaines, qui entend sans inquiétude une multitude affamée rugir autour des demeures somptueuses, et le grand agitateur menacer au nom de sept millions d’hommes. C’est ailleurs qu’il faut regarder pour avoir le secret de cette force surprenante.

L’Angleterre des livres et des voyageurs ne se montre d’ordinaire que sous un seul de ses aspects, qui, s’il est le plus saisissant, est bien loin d’être le plus important de tous. C’est l’Angleterre aux mille vaisseaux, aux mille machines, aux voies pavées de fer, aux noires catacombes et aux torrens de lave. C’est la patrie des houillères et des hauts-fourneaux, de la mull-jenny et du drawing frame, d’Arkwright et de Crompton, de Watt et de Wyat, grands hommes qui florirent pour la plupart dans la sombre enceinte d’un atelier, et dont les inventions devaient s’étendre jusqu’aux extrémités du monde. Par elles, le génie anglais pénètre au fond des harems de l’Orient ; il fabrique la hache d’armes du sauvage de l’Océanie, et pourvoit aux besoins des quatre cinquièmes du globe. Ce sont ces hommes qui ont fait surgir la prospérité de l’empire britannique de cette scission américaine où semblait devoir s’abîmer sa puissance ; eux seuls, par la fécondité de leurs combinaisons, ont permis à leur patrie de supporter sans périr, et le système de Pitt, et les attaques de Napoléon.

Cette Angleterre-là est imposante et terrible lorsqu’on la voit dans l’ombre de ses villes enfumées, ruisselante de sueur et couverte de haillons. C’est elle qui, en 1819, déployait à Manchester son redoutable drapeau, qui signait, en 1830, à Birmingham, l’Union politique que Bristol vit peu après préluder, par l’incendie, à la grande lutte de la réforme ; c’est elle qu’en ce moment même ses chefs s’efforcent de réveiller pour préparer et signer la Charte du peuple. Lorsqu’on la contemple pâle de colère et de faim, quand ses cent mille voix mugissent, et que ses bras nus s’agitent pour applaudir à des paroles enflammées, on doit croire que le dernier jour de la civilisation anglaise est proche, et qu’il y a comme un aveuglement fatal dans le calme profond de ces palais.

Il est une autre Angleterre, que l’étranger aperçoit d’ordinaire tout à côté de celle-là : c’est l’Angleterre de la fashion et du tourisme, qui, après les plaisirs de la saison, promène ses ennuis de Cheltenham à Brighton, passe la Manche, se montre, le livret à la main, au Vatican et au palais Pitti, et croit faire des découvertes dans la campagne romaine ; curieuse espèce, qui visite, en gants jaunes, les gla-