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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

Dans sa lutte acharnée contre Napoléon, la conduite de Pitt dénote moins, en effet, la pénétration du génie que la persévérance de la haine. Cet homme, moins éminent par la justesse de ses plans que par la prodigieuse faculté de se créer des ressources en rapport avec ces plans eux-mêmes, n’eut jamais conscience de la force de son grand adversaire ; il croyait en finir à chaque coalition, à chaque campagne et presque à chaque combat ; et son impassible audace eût reculé sans aucun doute, s’il avait entrevu, pour dernière conséquence de cette guerre de vingt années, sa patrie écrasée sous une dette quatre fois plus grande que tout le numéraire existant dans le monde[1] d’après le calcul de Storch.

C’est l’Angleterre telle qu’elle sortit de ce duel gigantesque qu’il va s’agir d’apprécier. Nous allons la voir engagée, comme la France elle-même, dans une lutte constitutionnelle qui, pour l’une, aboutit à la révolution dynastique de 1830, pour l’autre, à la réforme parlementaire de 1832, deux évènemens déterminés l’un par l’autre, quoique d’une portée différente.

À partir de la paix générale, des influences analogues agirent sur les deux pays : la tribune et la presse y propagèrent les mêmes idées, l’industrie semblait y développer des intérêts d’un même ordre. De plus, la Grande-Bretagne paraissait entraînée dans la voie des révolutions par les souffrances de ses classes pauvres qu’aggravaient l’énormité des taxes, les lois céréales et le prix exorbitant des choses, par l’existence précaire de ses classes ouvrières dont les ateliers se fermaient à la moindre perturbation extérieure, dont le pain de chaque jour était menacé par les perfectionnemens des machines aussi bien que par les concurrences étrangères ; enfin, l’unité des trois royaumes était chaque jour mise en question par la turbulence de l’Irlande où l’agitation avait su créer une discipline mieux obéie que celle de la loi, où toutes les misères humaines semblaient s’être réunies pour justifier toutes les violences.

Comment tant de causes combinées, qui semblaient préparer à la Grande-Bretagne un avenir chargé d’orages, l’ont-elles laissée si loin derrière nous dans la route où les deux peuples ont marché ? Comment la France touche-t-elle aux limites de l’organisation démocratique, tandis que l’aristocratie anglaise a supporté, presque sans flé-

  1. Dette au commencement de la guerre contre la révolution française 
    233,733,609 liv. st.
    À la conclusion de la paix d’Amiens, 1er  février 1801 
    528,839,277
    À la paix de Paris, 20 novembre 1814 
    864,822,441

    (Histoire financière et statistique générale de l’empire britannique,
    par M. Pablo Pebrer, tom. Ier, 2e  part. , tab. II.)