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le parterre, il passa si près de la fenêtre de la salle de bain, que son coude ébranla la persienne. Margot ne put retenir un léger cri que la frayeur lui arracha ; le jeune homme s’arrêta, ouvrit la persienne, et avança la tête ; il aperçut Margot dans son bain, et, quoique hussard, il rougit. Margot rougit aussi, et le jeune homme s’éloigna.

IV.

Il y a sous le soleil une chose fâcheuse pour tout le monde, et particulièrement pour les petites filles ; c’est que la sagesse est un travail, et que, pour être seulement raisonnable, il faut se donner beaucoup de mal, tandis que, pour faire des sottises, il n’y a qu’à se laisser aller. Homère nous apprend que Sisyphe était le plus sage des mortels ; cependant les poètes le condamnent unanimement à rouler une grosse roche au haut d’une montagne, d’où elle retombe aussitôt sur ce pauvre homme, qui recommence à la rouler. Les commentateurs se sont épuisés à chercher la raison de ce supplice ; quant à moi, je ne doute pas que, par cette belle allégorie, les anciens n’aient voulu représenter la sagesse. La sagesse est, en effet, une grosse pierre que nous roulons sans désemparer, et qui nous retombe sans cesse sur la tête. Notez que le jour où elle nous échappe, il ne nous est tenu aucun compte de l’avoir roulée pendant nombre d’années, tandis qu’au contraire, si un fou vient à faire, par hasard, une action raisonnable, on lui en sait un gré infini. La folie est bien loin d’être une pierre ; c’est une bulle de savon qui s’en va dansant devant nous, et se colorant, comme l’arc-en-ciel, de toutes les nuances de la création. Il arrive, il est vrai, que la bulle crève, et nous envoie quelques gouttes d’eau dans les yeux ; mais aussitôt il s’en forme une nouvelle, et, pour la maintenir en l’air, nous n’avons besoin que de respirer.

Par ces réflexions philosophiques, je veux montrer qu’il n’est pas étonnant que Margot fut un peu amoureuse du jeune garçon qui l’avait aperçue dans son bain, et je veux dire aussi que, pour cela, on ne doit pas prendre mauvaise opinion d’elle. Lorsque l’amour se mêle de nos affaires, il n’a pas grand besoin qu’on l’aide, et on sait que lui fermer la porte, n’est pas le moyen de l’empêcher d’entrer ; mais il entra ici par la croisée, et voici comment.

Ce jeune garçon, en habit de hussard, n’était pas autre que Gaston, fils de Mme Doradour, qui s’était arraché, non sans peine, aux amourettes de sa garnison, et qui venait d’arriver chez sa mère. Le ciel voulut que la chambre où logeait Margot fût à l’angle de la maison,