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un foyer d’incendie eût éclaté de quelque point insaisissable à ma vue. Peu à peu cette clarté sinistre s’étendit sur toutes les parties de l’édifice, et je distinguai un grand nombre de figures agenouillées dans la nef, tandis qu’une procession de prêtres revêtus de riches habits sacerdotaux défilait lentement au milieu et se dirigeait vers le chœur en chantant d’une voix monotone : Détruisons-le ! détruisons-le ! que ce qui appartient à la tombe soit rendu à la tombe.

Ce chant lugubre réveilla mes terreurs, et je regardai autour de moi ; mais je vis que j’étais seul dans une des travées : la foule avait envahi toutes les autres, elle semblait ne pas s’occuper de moi. Alors j’essayai de m’échapper de ce lieu d’épouvante où un instinct secret m’annonçait l’accomplissement de quelque affreux mystère. Je vis plusieurs portes derrière moi, mais elles étaient gardées par les horribles figures de bronze qui ricanaient et se parlaient entre elles en disant : On va le détruire, et les lambeaux de sa chair nous appartiendront.

Glacé par ces paroles, je me rapprochai de la balustrade en me courbant le long de la rampe de pierre pour qu’on ne pût pas me voir ; j’eus une telle horreur de ce qui allait s’accomplir, que je fermai les yeux et me bouchai les oreilles. La tête enveloppée de mon capuce et courbée sur mes genoux, je vins à bout de me figurer que tout cela était un rêve et que j’étais endormi sur le grabat de ma cellule. Je fis des efforts inouis pour me réveiller et pour échapper au cauchemar, et je crus m’éveiller en effet ; mais, en ouvrant les yeux, je me retrouvai dans la travée, environné à distance des spectres qui m’y avaient conduit, et je vis au fond de la nef la procession de prêtres qui était arrivée au milieu du chœur, et qui formait un groupe pressé au centre duquel s’accomplissait une scène d’horreur que je n’oublierai jamais. Il y avait un homme couché dans un cercueil, et cet homme était vivant : il ne se plaignait pas, il ne faisait aucune résistance ; mais des sanglots étouffés s’échappaient de son sein, et ses soupirs profonds, accueillis par un morne silence, se perdaient sous la voûte qui les renvoyait à la foule insensible. Auprès de lui, plusieurs prêtres armés de clous et de marteaux se tenaient prêts à l’ensevelir aussitôt qu’on aurait réussi à lui arracher le cœur. Mais c’était en vain que, les bras sanglans et enfoncés dans la poitrine entr’ouverte du martyr, chacun venait à son tour fouiller et tordre ses entrailles ; nul ne pouvait arracher ce cœur invincible que des liens de diamans semblaient retenir victorieusement à sa place. De temps en temps les bourreaux laissaient échapper un cri de rage, et