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SPIRIDION.

ni force, ni réalité. C’est donc le respect humain qui fait votre puissance sur moi. C’est parce que, dans mes jours de jeunesse intolérante et de dévotion fougueuse, j’ai flétri à haute voix les religieux qui rompaient leur ban ; c’est parce que j’ai soutenu autrefois la thèse absurde que le serment de l’homme est indélébile, qu’aujourd’hui je crains, en me rétractant, d’être méprisé par ces hommes que je méprise ! — Je m’étais dit ces choses, je m’étais fait ces reproches ; j’avais résolu de partir, de jeter mon froc de moine aux ronces du chemin, d’aller chercher la liberté de conscience et la liberté d’études dans un pays éclairé, chez une nation tolérante, en France ou en Allemagne ; mais je n’avais jamais trouvé le courage de le faire. Mille raisons puériles ou orgueilleuses m’en avaient empêché. Je me couchai, en repassant dans mon esprit ces raisons que, par une réaction naturelle, j’aimais à trouver excellentes, puisque désormais l’état de moine et le séjour du monastère étaient pour moi la meilleure condition possible. Au nombre de ces raisons, ma mémoire vint à me retracer le désir de posséder le manuscrit de Spiridion et l’importance que j’avais attachée à exhumer cet écrit précieux. À peine cette réflexion eut-elle traversé mon esprit, qu’elle y évoqua mille images fantastiques. La fatigue et le besoin de sommeil commençaient à troubler mes idées. Je me sentis dans une disposition étrange et telle que depuis long-temps je n’en avais connu. Ma raison, toujours superbe, était dans toute sa force, et méprisait profondément les visions qui m’avaient assailli dans le catholicisme ; elle m’expliquait les prestiges de la nuit du 10 janvier par des causes toutes naturelles. La faim, la fièvre, l’agonie des forces morales, et aussi le désespoir secret et insurmontable de quitter la vie d’une manière si horrible, avaient dû produire sur mon cerveau un désordre voisin de la folie. Alors j’avais cru entendre une voix de la tombe, et des paroles en harmonie avec les souvenirs émouvans de ma précédente existence de catholique. Les fantômes qui jadis s’étaient produits dans mon imagination, avaient dû s’y reproduire par une loi physiologique, à la première disposition fébrile ; et l’anéantissement de mes forces physiques avait dû, en présence de ces apparitions, empêcher les fonctions de la raison et neutraliser les puissances du jugement. Un évènement fortuit, le passage d’un serviteur dans la salle du chapitre, ou peut-être même un remords de Donatien, ayant amené ma délivrance au moment où j’étais en proie à ce délire, je n’avais pu manquer d’attribuer mon salut à des causes surnaturelles ; et le reste de la vision s’expliquait assez par la lutte qui s’était