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barbe de son père, il lui semblait charmant et prodigieux de voir son image répétée autour d’elle de tant de manières différentes. Le ton délicat et poli de sa marraine, ses expressions nobles et réservées, lui faisaient aussi une grande impression. Le costume même de la bonne dame, son ample robe de pou de soie à fleurs, son grand bonnet et ses cheveux poudrés, donnaient à penser à Margot, et lui faisaient voir qu’elle se trouvait en face d’un être particulier. Comme elle avait l’esprit prompt et facile, et en même temps ce penchant à l’imitation qui est naturel aux enfans, elle n’eut pas plus tôt causé une heure avec Mme Doradour qu’elle essaya de se modeler sur elle. Elle se redressa, rajusta sa cornette, et appela à son secours tout ce qu’elle savait de grammaire. Malheureusement, un peu de fort bon vin que sa marraine lui avait fait boire pur, pour réparer la fatigue du voyage, avait embrouillé ses idées. Ses paupières se fermaient ; Mme Doradour la prit par la main et la conduisit dans une belle chambre ; après quoi, l’ayant embrassée de nouveau, elle lui souhaita une bonne nuit et se retira.

Presque aussitôt on frappa à la porte ; une femme de chambre entra, débarrassa Margot de son schall et de son bonnet, et se mit à genoux pour la déchausser. Margot dormait tout debout et se laissait faire. Ce ne fut que lorsqu’on lui ôta sa chemise qu’elle s’aperçut qu’on la déshabillait, et sans réfléchir qu’elle était toute nue, elle fit un grand salut à sa femme de chambre ; elle expédia ensuite sa prière du soir, et se mit promptement au lit. À la lueur de sa veilleuse, elle vit que sa chambre avait aussi des meubles dorés, et qu’il s’y trouvait une de ces magnifiques glaces qui lui tenaient si fort au cœur. Au-dessus de cette glace était un trumeau, et les petits amours qui y étaient sculptés lui parurent autant de bons génies qui l’invitaient à se mirer. Elle se promit bien de n’y pas manquer, et, bercée par les plus doux songes, elle s’endormit délicieusement.

On se lève de bonne heure aux champs ; notre petite campagnarde s’éveilla le lendemain avec les oiseaux. Elle se mit sur son séant, et, apercevant dans sa chère glace son joli minois chiffonné, elle s’honora d’un gracieux sourire. La femme de chambre reparut bientôt, et demanda respectueusement si mademoiselle voulait prendre un bain. En même temps elle lui posa sur les épaules une robe de flanelle écarlate, qui parut à Margot la pourpre d’un roi.

La salle de bain de Mme Doradour était un réduit plus mondain qu’il n’appartient à un bain de dévote ; elle avait été construite sous Louis XV. La baignoire, exhaussée sur une estrade, était placée dans