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SPIRIDION.

Alors il se fit une lueur pâle dans la salle, comme serait celle d’un éclair prolongé. Cette lueur augmenta, et, au bout d’une minute environ, s’éteignit tout-à-fait. J’avais eu le temps de voir que cette lumière partait du portrait du fondateur, dont les yeux s’étaient allumés comme deux lampes pour éclairer la salle, et pour me montrer que j’étais adossé depuis un quart d’heure contre la porte tant cherchée. — Béni sois-tu, esprit bienheureux ! m’écriai-je. Et, ranimé soudain, je m’élançai hors de la salle avec impétuosité.

Un convers, qui vaquait dans les salles basses à des préparatifs extraordinaires pour le lendemain, me vit accourir vers lui comme un spectre. Mes joues creuses, mes yeux enflammés par la fièvre, mon air égaré, lui causèrent une telle frayeur, qu’il s’enfuit, en laissant tomber une corbeille de riz qu’il portait et un flambeau, que je me hâtai de ramasser avant qu’il fût éteint. Quand j’eus apaisé ma faim, je regagnai ma cellule, et le lendemain, après un sommeil réparateur, je fus en état de me rendre à l’église.

Un bruit singulier dans le couvent et le branle de toutes les grosses cloches m’avaient annoncé une cérémonie importante. J’avais jeté les yeux sur le calendrier de ma cellule, et je me demandais si j’avais perdu, pendant mes jours d’inanition, la notion de la marche du temps, car je ne voyais aucune fête religieuse marquée pour le jour où je croyais être. Je me glissai dans le chœur, et je gagnai ma stalle sans être remarqué. Il y avait sur tous les fronts une préoccupation ou un recueillement extraordinaire. L’église était parée comme aux grands jours fériés. On commença les offices. Je fus surpris de ne point voir le prieur à sa place ; je me penchai pour demander à mon voisin s’il était malade. Celui-ci me regarda d’un air stupéfait, et, comme s’il eût pensé avoir mal entendu ma question, il sourit d’un air embarrassé et ne me répondit point. Je cherchai des yeux le père Donatien, celui de tous les religieux que je savais m’être le plus hostile, et que j’accusais intérieurement du traitement odieux que je venais de subir. Je vis ses yeux ardens chercher à pénétrer sous mon capuchon ; mais je ne lui laissai point voir mon visage, et je m’assurai que le sien était bouleversé par la surprise et la crainte, car il ne s’attendait point à trouver ma stalle occupée, et il se demandait si c’était moi ou mon spectre qu’il voyait là en face de lui.

Je ne fus au courant de ce qui se passait qu’à la fin de l’office, lorsque l’officiant récita une prière en commémoration du prieur dont l’ame avait paru devant Dieu, le 10 janvier 1766, à minuit, c’est-à-dire une heure avant mon incarcération dans la bibliothèque. Je