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que tu devais te régénérer, en cherchant sur la cendre de ma dépouille terrestre une étincelle qui aurait pu rallumer en toi le feu du ciel. Faut-il donc que les morts quittent leur sépulcre pour trouver les vivans plus froids et plus engourdis que des cadavres ?

J’essayai encore de lui répondre, mais sans réussir plus que la première fois. Alors il reprit avec un soupir : — Reviens donc à la vie des sens, puisque celle de l’esprit est expirée en toi… Il s’approcha et me toucha, mais je ne vis rien ; et lorsque, après des efforts inouis, j’eus réussi à m’éveiller de ma léthargie et à me dresser sur mes genoux, tout était rentré dans le silence, et rien n’annonçait autour de moi la visite d’un être humain.

Cependant un vent plus froid qui soufflait sur moi semblait venir de la porte. Je me traînai jusque-là. Ô prodige ! elle était ouverte.

J’eus un accès de joie insensée. Je pleurai comme un enfant, et j’embrassai la porte comme si j’eusse voulu baiser la trace des mains qui l’avaient ouverte. Je ne sais pourquoi la vie me semblait si douce à recouvrer, après m’avoir semblé si facile à perdre. Je me traînai le long de la salle du chapitre en suivant les murs, car j’étais si faible que je tombais à chaque pas. Ma tête s’égarait, et je ne pouvais plus me rendre raison de la position de la porte que je voulais gagner. J’étais comme un homme ivre, et plus j’avais hâte de sortir de ce lieu fatal, moins il m’était possible d’en trouver l’issue. J’errais dans les ténèbres, me créant moi-même un labyrinthe inextricable dans un espace libre et régulier. Je crois que je passai là presque une heure, livré à d’inexprimables angoisses. Je n’étais plus armé de philosophie, comme lorsque j’étais sous les verroux. Je voyais la liberté, la vie, qui revenaient à moi, et je n’avais pas la force de m’en emparer. Mon sang, un instant ranimé, se refroidissait de nouveau. Une sorte de rage délirante s’emparait de moi. Mille fantômes passaient devant mes yeux. Mes genoux se raidissaient sur le plancher. Épuisé de fatigue et de désespoir, je tombai au pied d’une des froides parois de la salle, et de nouveau j’essayai de retrouver en moi la résolution de mourir en paix. Mais mes idées étaient confuses, et la sagesse, qui m’avait semblé naguère une armure impénétrable, n’était en cet instant qu’un secours impuissant contre l’horreur de la mort.

Tout à coup je retrouvai le souvenir, déjà effacé, de la voix qui m’avait appelé durant mon sommeil, et, me livrant à cette protection mystérieuse avec la confiance d’un enfant, je murmurai les derniers mots que Fulgence avait prononcés en rendant l’ame : Sancte Spiridion, ora pro me.