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SPIRIDION.

physiques sans avoir perdu ma force morale, et sans avoir cédé au désir de crier pour appeler du secours. L’unique croisée de cette pièce donnait sur une cour fermée, où les novices allaient rarement. J’avais guetté vainement depuis trois jours ; la porte de cette cour ne s’était pas ouverte une seule fois. Sans doute, elle avait été condamnée comme celle du chapitre. Ne pouvant faire signe à aucun être compatissant ou désintéressé, il eût fallu remplir l’air de mes cris, pour arriver à me faire entendre. Je savais trop bien que dans de semblables circonstances la compassion est lâche et impuissante, tandis que le vil désir de la vengeance augmente en raison de l’abaissement de la victime. Je savais que mes gémissemens causeraient à quelques-uns une terreur stupide et rien de plus. Je savais que les autres se réjouiraient de mes angoisses. Je ne voulais pas donner à ces bourreaux le triomphe de m’avoir arraché une seule plainte. J’avais donc résisté aux tortures de la faim ; je commençais à ne plus les sentir, et d’ailleurs je n’aurais plus eu assez de force pour élever la voix. Je m’abandonnai à mon sort en invoquant Épictète et Socrate, et Jésus lui-même, le philosophe immolé par les princes des prêtres et les docteurs de la loi.

Depuis quelques heures je reposais dans un profond anéantissement, lorsque je fus éveillé par le bruit de l’horloge du chapitre qui sonnait minuit de l’autre côté de la cloison contre laquelle j’étais étendu. Alors j’entendis marcher doucement dans la salle, et il me sembla qu’on approchait de la porte de ma prison. Ce bruit ne me causa ni joie, ni surprise ; je n’avais plus conscience d’aucune chose. Cependant la nature des pas que j’entendais sur le plancher de la salle voisine, leur légèreté empressée, jointe à une netteté solennelle, réveillèrent en moi je ne sais quels vagues souvenirs. Il me sembla que je reconnaissais la personne qui marchait ainsi, et que j’éprouvais une joie d’instinct à l’entendre venir vers moi ; mais il m’eût été impossible de dire quelle était cette personne et où je l’avais connue.

Elle ouvrit la porte de la bibliothèque, et m’appela par mon nom d’une voix harmonieuse et douce qui me fit tressaillir. Il me sembla que je sentais la vie faire un effort en moi pour se ranimer ; mais j’essayai en vain de me soulever, et je ne pus ni remuer, ni parler.

— Alexis ! répéta la voix d’un ton d’autorité bienveillante, ton corps et ton ame sont-ils donc aussi endurcis l’un que l’autre ? D’où vient que tu as manqué à ta parole ? Voici la nuit, voici l’heure que tu avais fixées… Il y a aujourd’hui trente ans que tu vins dans ce monde, nu et pleurant comme tous les fils d’Ève. C’est aujourd’hui