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SPIRIDION.

sible, en quelque sorte, aux sens, par les images et les allégories mystiques, s’effaçait pour faire place à un immense foyer de divinité où j’étais absorbé comme un atome, sans que mes pensées eussent ni place, ni valeur possible, sans qu’aucune parcelle de cette divinité pût se faire assez menue pour se communiquer à moi, autrement que par le fait, pour ainsi dire fatal, de la vie universelle. Je n’osais donc plus essayer de communiquer avec Dieu. Il me paraissait trop grand pour s’abaisser jusqu’à m’écouter ; et je craignais de faire un acte impie, d’insulter sa majesté céleste, en l’invoquant comme un roi de la terre. Pourtant j’avais toujours le même besoin de prier, le même besoin d’aimer, et quelquefois j’essayais d’élever une voix humble et craintive vers ce Dieu terrible. Mais tantôt je retombais involontairement dans les formes et dans les idées catholiques, et tantôt il m’arrivait de formuler une prière assez étrange et dont la naïveté me ferait sourire aujourd’hui, si elle ne me rappelait des souffrances profondes et sérieuses. — Ô toi ! disais-je, toi qui n’as pas de nom, et qui résides dans l’inaccessible ! toi qui es trop grand pour m’écouter, trop loin pour m’entendre, trop parfait pour m’aimer, trop fort pour me plaindre ! je t’invoque sans espoir d’être exaucé, parce que je sais que je ne dois rien te demander, et que je n’ai qu’une manière de mériter ici-bas, qui est de vivre et de mourir inaperçu, sans orgueil, sans révolte et sans colère, de souffrir sans me plaindre, d’attendre sans désirer, d’espérer sans prétendre à rien…

Alors je m’interrompais, épouvanté de la triste destinée humaine qui se présentait à moi, et que ma prière, pur reflet de ma pensée, résumait en des termes si décourageans et si douloureux. Je me demandais à quoi bon aimer un Dieu insensible, qui laisse à l’homme le désir céleste, pour lui faire sentir toute l’horreur de sa captivité ou de son impuissance ; un Dieu aveugle et sourd, qui ne daigne pas même commander à la foudre, et qui se tient tellement caché dans la pluie d’or de ses soleils et de ses mondes, qu’aucun de ces soleils et aucun de ces mondes ne le connaît ni ne l’entend. Oh ! j’aimais mieux l’oracle des Juifs, la voix qui parlait à Moïse sur le Sinaï ; j’aimais mieux l’esprit de Dieu sous la forme d’une colombe sacrée, ou le fils de Dieu devenu un homme semblable à moi ! Ces dieux terrestres étaient accessibles pour moi. Tendres ou menaçans, ils m’écoutaient et me répondaient. Les colères et les vengeances du sombre Jéhovah m’effrayaient moins que l’impassible silence et la glaciale équité de mon nouveau maître.

C’est alors que je sentis profondément le vide et le vague de cette