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SPIRIDION.

C’est là que j’en étais venu ; c’est là qu’en était venu le siècle où je vivais. Mais, comme il y était venu lentement par les voies du destin, il se trouvait bien dans cette halte qu’il venait de faire : le siècle était incrédule, mais il était indifférent. Dégoûté de la foi de ses pères, il se réjouissait dans sa philosophique insouciance, sans doute parce qu’il sentait en lui ce germe providentiel qui ne permet pas à la semence de vie de périr sous les glaces des rudes hivers. Mais moi, chrétien démoralisé, moi, catholique d’hier, qui, tout d’un coup, avais voulu franchir la distance qui me séparait de mes contemporains, j’étais comme ivre, et la joie de mon triomphe était bien près du désespoir et de la folie.

Qui pourrait peindre les souffrances d’une ame habituée à l’exercice minutieusement ponctuel d’une doctrine aussi savamment conçue, aussi patiemment élaborée, que l’est celle du catholicisme, lorsque cette ame se trouve flottante au milieu de doctrines contradictoires dont aucune ne peut hériter de sa foi aveugle et de son naïf enthousiasme ? Qui pourrait redire ce que j’ai dévoré d’heures d’un accablant ennui, lorsque, à genoux dans ma stalle de chêne noir, j’étais condamné à entendre, après le coucher du soleil, la psalmodie lugubre de mes frères, dont les paroles n’avaient plus de sens pour moi, et la voix plus de sympathie ; ces heures, jadis trop courtes pour ma ferveur, se traînaient maintenant comme des siècles. C’est en vain que j’essayais de répondre machinalement aux offices, et d’occuper ma pensée de spéculations d’un ordre plus élevé. L’activité de l’intelligence ne pouvait pas remplacer celle du cœur. La prière a cela de particulier, qu’elle met en jeu les facultés les plus sublimes de l’ame, et les fibres les plus humaines du sentiment. La prière du chrétien, entre toutes les autres, fait vibrer toutes les cordes de l’être intellectuel et moral. Dans aucune autre religion, l’homme ne se sent aussi près de son Dieu ; dans aucune Dieu n’a été fait si humain, si paternel, si abordable, si patient et si tendre. Le livre ascétique de l’Imitation n’est qu’un adorable traité de l’amitié, amitié étrange, ineffable, sans exemple dans l’histoire des autres religions ; amitié intime, expansive, délicate, fraternelle, entre le Dieu Jésus et le chrétien fervent. Quel sentiment appliqué aux objets terrestres peut jamais remplacer celui-là pour l’homme qui l’a connu ? quelle éducation de l’intelligence peut satisfaire en même temps et au même degré à tous les besoins du cœur ? La doctrine chrétienne apaise toutes les ardeurs inquiètes de l’esprit en disant à son adepte : Tu n’as pas besoin d’être grand ; aime, et sois humble, aime Jésus, parce qu’il est humble et doux. Et lorsque