Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/446

Cette page a été validée par deux contributeurs.
442
REVUE DES DEUX MONDES.

Le catholique ne se rattache à rien dans l’histoire du genre humain, et ne sait rien rattacher au christianisme. Il s’imagine être le commencement et la fin de la race humaine. C’est pour lui seul que la terre a été créée, c’est pour lui que d’innombrables générations ont passé sur la face du globe comme des ombres vaines, et sont retombées dans l’éternelle nuit, afin que leur damnation lui servît d’exemple et d’enseignement ; c’est pour lui que Dieu est descendu sur la terre sous une forme humaine. C’est pour la gloire et le salut du catholique que les abîmes de l’enfer se remplissent incessamment de victimes, afin que le juge suprême voie et compare, et que le catholique, élevé dans les splendeurs du Très-Haut, jouisse et triomphe dans le ciel du pleur éternel de ceux qu’il n’a pu soumettre et diriger sur la terre : aussi le catholique croit-il n’avoir ni pères ni frères dans l’histoire de la race humaine. Il s’isole et se tient dans une haine et dans un mépris superbe de tout ce qui n’est pas avec lui. Hors ceux de la lignée juive, il n’a de respect filial et de sainte gratitude pour aucun des grands hommes qui l’ont précédé. Les siècles où il n’a pas vécu ne comptent pas ; ceux qui ont lutté contre lui sont maudits ; ceux qui l’extermineront verront aussi la fin du monde, et l’univers se dissoudra le jour apocalyptique où l’église romaine tombera en ruines sous les coups de ses ennemis.

Quand un catholique a perdu son aveugle respect pour l’église catholique, où pourrait-il donc se réfugier ? Dans le christianisme, tant qu’il ajoutera foi à la révélation. Mais, si la révélation vient à lui manquer, il n’a plus qu’à flotter dans l’océan des siècles, comme un esquif sans gouvernail et sans boussole ; car il ne s’est point habitué à regarder le monde comme sa patrie et tous les hommes comme ses semblables. Il a toujours habité une île escarpée, et ne s’est jamais mêlé aux hommes du dehors. Il a considéré le monde comme une conquête réservée à ses missionnaires, les hommes étrangers à la foi catholique comme des brutes qu’à lui seul il était réservé de civiliser. À quelle terre ira-t-il demander les secrets de l’origine céleste, à quel peuple les enseignemens de la sagesse humaine ? Il ira tâter tous les rivages, mais il ne comprendra point le sens des traces qu’il y trouvera. La science des peuples est écrite en caractères inintelligibles pour lui ; l’histoire de la création est pour lui un mythe inintelligible. Hors de l’église point de salut, hors de la Genèse point de science. Il n’y a donc pas de milieu pour le catholique : il faut qu’il reste catholique ou qu’il devienne incrédule. Il faut que sa religion soit la seule vraie, ou que toutes les religions soient fausses.