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SPIRIDION.

l’esprit de Dieu avait été avec lui, et non avec eux. Si je ne détruisais pas encore dans ma pensée tout l’édifice du catholicisme, c’est que, par une transaction de mon esprit qui m’était tout-à-fait propre, j’admettais qu’en des jours mauvais l’église avait pu se tromper, et que, si les successeurs de ces prélats égarés ne révisaient pas leurs jugemens, c’était par un motif de discipline et de prudence purement humaines et politiques. Je me disais qu’à la place du pape je reconnaîtrais peut-être l’impossibilité de réhabiliter publiquement Abeilard et son école, mais qu’à coup sûr je ne proscrirais plus la lecture de leurs écrits, et je cacherais ma sympathie pour eux sous le voile de la tolérance. Je raisonnais, certes, déplorablement ; car je sapais toute l’autorité de l’église, sans songer à sortir de l’église. J’attirais sur ma tête les ruines d’un édifice qu’on ne peut attaquer que du dehors. Ces contradictions étranges ne sont pas rares chez les esprits sincères et logiques à tout autre égard. Une malveillance d’habitude pour le corps de l’église protestante, un attachement d’habitude et d’instinct pour l’église romaine, leur font désirer de conserver le berceau, tandis que l’irrésistible puissance de la vérité et le besoin d’une juste indépendance ont transformé entièrement et grandi le corps auquel cette couche étroite ne peut plus convenir. Au milieu de ces contradictions, je n’apercevais pas le point principal. Je ne voyais pas que je n’étais plus catholique. En accordant aux hérésiarques des principes d’orthodoxie épurée, je reportais vers eux toute ma ferveur ; et mon enthousiasme pour leur grandeur, ma compassion pour leurs infortunes, me conduisirent à les égaler aux pères de l’église et à m’en occuper même davantage, car les pères avaient accaparé toute ma vie précédente, et j’avais besoin de me faire d’autres amis.

Dire que je passai à Wiclef, à Jean Huss, et puis à Luther, et de là au scepticisme, c’est faire l’histoire de l’esprit humain durant les siècles qui m’avaient précédé, et que ma vie intellectuelle, par un enchaînement de nécessités logiques, résuma assez fidèlement. Mais, après le protestantisme, je ne pouvais plus retourner au point de départ : ma foi dans la révélation s’ébranla, ma religion prit une forme toute philosophique ; je me retournai vers les philosophies anciennes ; je voulus comprendre et Pythagore et Zoroastre, Confucius, Épicure, Platon, Épictète, en un mot, tous ceux qui s’étaient tourmentés grandement de l’origine et de la destinée humaine, avant la venue de Jésus-Christ.

Dans un cerveau livré à des études calmes et suivies, dans une