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bientôt la cloche qui nous appelait aux offices sonna, et, malgré la répugnance que j’éprouvais à agir comme en cachette, je me décidai à emporter sous ma robe cet ouvrage précieux ; car la salle du chapitre n’était accessible, pour moi, qu’une heure dans tout le cours de la journée, et mon ardeur n’était pas de nature à se contenter de si peu. Je commençai à réfléchir à la possibilité matérielle d’étudier sans être interrompu, et je résolus d’agir avec prudence. Peut-être la chose eût été facile si j’eusse pu m’humilier jusqu’à implorer la bienveillance des supérieurs. C’est à quoi mon orgueil ne put jamais se plier ; car il eût fallu mentir et dire que, muni d’une foi inébranlable, je me sentais appelé à réfuter victorieusement l’hérésie. Cela n’était plus vrai. J’éprouvais le besoin de m’instruire pour moi-même, et, la science catholique épuisée pour moi, j’étais poussé vers des études plus complètes, par l’amour de la science, et non plus par l’ardeur de la prédication.

Je dévorai les écrits d’Abeilard, et ce qui nous reste des opinions d’Arnauld de Brescia, de Pierre Valdo, et des autres hérétiques célèbres des xiie et xiiie siècles. La liberté d’examen et l’autorité de la conscience, proclamées jusqu’à un certain point par ces hommes illustres, répondaient tellement alors au besoin de mon ame, que je fus entraîné au-delà de ce que j’avais prévu. Mon esprit entra dès lors dans une nouvelle phase, et, malgré ce que j’ai souffert dans les diverses transformations que j’ai subies, malgré l’agonie douloureuse où j’achève mes jours, je dirai que ce fut le premier degré de mon progrès. Oui, Angel, quelque rude supplice que l’ame ait à subir en cherchant la vérité, le devoir est de la chercher sans cesse, et mieux vaut perdre la vue à vouloir contempler le soleil, que de rester les yeux volontairement fermés sur les splendeurs de la lumière. Après avoir été un théologien catholique assez instruit, je devins donc un hérétique passionné, et d’autant plus irréconciliable avec l’église romaine, qu’à l’exemple d’Abeilard et de mes autres maîtres, j’avais l’intime et sincère conviction de mon orthodoxie. Je soutenais dans le secret de mes pensées que j’avais le droit, et même que c’était un devoir pour moi, de ne rien adopter pour article de foi que je n’en eusse senti l’utilité et compris le principe. Leur manière d’envisager l’inspiration divine de Platon et la sainteté des grands philosophes païens, précurseurs du Christ, me semblait seule répondre à l’idée que le chrétien doit avoir de la bonté, de l’équité et de la grandeur de Dieu. Je blâmais sérieusement les hommes d’église contemporains d’Abeilard, et pensais que, lors du concile de Sens,