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les meurtriers du lieutenant Weir et d’un sieur Joseph Bertrand. Vous comprenez, monsieur, l’esprit de cette ordonnance. Le gouvernement anglais et lord Durham ne veulent pas d’exécution pour crimes d’état (et, pour le dire en passant, c’est un exemple glorieux que la révolution de juillet, que son gouvernement et son roi ont donné les premiers dans le monde) ; ils ne veulent pas non plus que les chefs de la révolte jouissent du triomphe d’une absolution éclatante, comme la chose eût été à craindre, si on les avait déférés à la juridiction légale du pays. Il ne faut ni verser leur sang, ni les tenir éternellement en prison sans les juger, ni leur permettre de renouer les fils plutôt relâchés que rompus du vaste complot dont ils étaient les chefs. Que fait lord Durham ? Il prononce leur déportation dans une colonie anglaise, non pas dans une colonie pénale, où ils seraient confondus avec les malfaiteurs et les prostituées des trois royaumes, mais au milieu d’une population honorable, qui vit librement par le commerce et l’agriculture. Tout semble concilié : les devoirs de la politique et les sentimens de l’humanité envers des hommes que la raison cosmopolite absout, quand le patriotisme anglais les condamne, et qui peut-être eussent été, avec la consécration du succès, les Adams ou les Jefferson de l’indépendance canadienne. Mais, monsieur, ce qui était à la fois politique et humain, n’était pas légal ; lord Brougham, lord Ellenborough et lord Lyndhurst, qui sont tous les trois, en leur qualité d’anciens avocats, de nobles et savans lords, l’ont démontré fort doctement ; et leur science, aiguisée par l’esprit de parti, fortifiée par une profonde haine personnelle contre lord Durham, a réussi enfin, après maints efforts inutiles, à paralyser entre ses mains les pouvoirs dont il avait été investi. J’arrive, vous le voyez, à la cause immédiate de la démission de lord Durham.

Depuis que lord Durham est parti pour le Canada, quelques-uns de ses actes ont été, dans les deux chambres du parlement anglais, l’objet des plus vives attaques. Ainsi l’on a sévèrement censuré, avec cette aigreur et ce cant si peu charitable qui soulevaient le cœur de lord Byron, le choix que lord Durham avait fait pour l’accompagner dans sa mission, d’un M. Turton, jurisconsulte éminent et très versé dans les questions coloniales, mais qui avait eu le malheur, il y a quelque vingt ans, de se trouver compromis dans une affaire assez scandaleuse avec sa belle-sœur. Déjà, dans cette discussion, lord Melbourne s’était vu forcé de sacrifier le protégé de lord Durham à l’acharnement de ses vertueux accusateurs. Mais l’ordonnance du 28 juin présentait aux ennemis du gouverneur-général des colonies américaines l’occasion de lui porter un coup décisif ; ils la saisirent avec empressement, et à peine cette ordonnance fut-elle connue en Angleterre, que lord Brougham proposa dans la chambre un bill d’indemnité qui avait pour but d’annuler l’ordonnance, et de mettre son auteur à l’abri de toutes poursuites. L’objet ultérieur, le but réel, étaient d’embarrasser le ministère, d’obtenir un vote formel de censure contre lord Durham, comme ayvant violé la loi, de le