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REVUE LITTÉRAIRE.


Histoire de l’éloquence politique et religieuse en France, par M. Géruzez[1]. — Le tableau de la littérature française au XVe et au XVIe siècle, dans son côté le plus actif, le plus puissant, dans la tribune politique, la chaire et le théâtre, tel est l’objet de ce livre. L’auteur, avant d’aborder le fond même de son sujet, esquisse, en remontant souvent dans le passé, la situation morale et politique de cette grande époque placée sur la limite indécise du moyen-âge et de la société moderne. Il montre l’idée de la réforme éclatant, dès le XIIe siècle, en de menaçantes tentatives, la papauté travaillant elle-même à sa ruine, la renaissance des lettres aidant à l’insurrection religieuse. Dans ses études sur l’éloquence politique, M. Géruzez ne se borne pas seulement à juger les orateurs au point de vue littéraire ; il examine les doctrines, les théories, et cherche, avant tout, à mettre en lumière les opinions et les passions du temps. Ainsi, aux états-généraux de 1484, les trois ordres se dessinent nettement, chacun dans son attitude. Mais il nous semble que M. Géruzez a exagéré, outre mesure, la valeur oratoire de ces harangues où l’aphorisme cicéronien remplace le verset biblique. Quelques hommes de sens et de courage signalèrent, il est vrai, des abus réels ; mais leur éloquence, peu faite aux luttes parlementaires, leur opposition incomplète ou exagérée pour le temps n’amena que des réformes partielles et peu profondes. La preuve immédiate de ce fait se rencontre dans la querelle qui fut émue le jour même de la clôture des sessions. On demanda par qui seraient supportés les frais de cette grande assemblée nationale. « Par le tiers-état, répondit la noblesse. Mon devoir n’est pas de payer, mais de me battre. — Par le tiers-état, répondit à son tour le clergé. Je prie pour le royaume, et ne lui dois pas d’impôts. » Le chancelier fut consulté. « Je plains le peuple, dit-il, mais cette fois encore, je le crains bien, ce peuple sera l’âne qui portera le bagage de tous. » Du reste, les luttes de la tribune politique ne se présentent que comme un fait exceptionnel dans l’histoire de l’ancien gouvernement de la France. Sa forme même ne pouvait les admettre. Mais chaque jour, dans une autre tribune plus puissante alors, dans la chaire chrétienne, la parole propageait d’utiles enseignemens, provoquait de sages réformes. Ces prédicateurs du XVe siècle, qui attaquaient avant Luther les bénéfices et les indulgences et proclamaient sous le règne de Louis XI que la liberté seule est de droit divin, méritaient, certes, un souvenir dans cette même université de Paris, où la plupart d’entre eux avaient enseigné le droit canon et les cas de conscience. Leurs sermons laissent percer, à travers des croyances fortes, quelque chose de la verve cynique de Rabelais, et leurs attaques sans cesse renouvelées contre les magistrats corrompus, dont les robes rouges sont teintes du sang des pauvres, contre l’église, où le mal est partout, ce besoin vague de garanties plus formelles, de libertés plus étendues, cette impatience de toute inégalité sociale, font pressentir déjà, sous

  1. vol. in-8o, chez Angé, rue Guénégaud.