Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/401

Cette page a été validée par deux contributeurs.
397
REVUE LITTÉRAIRE.

On aperçoit dans ce livre une vive image de la génération de notre droit, c’est-à-dire trois élémens divers, les Gaulois, les Romains, les barbares, concourant, sous l’action immédiate de l’église et de la royauté, à la formation de deux droits distincts, le droit écrit et le droit coutumier, bientôt après confondus en un seul et unique droit qui est celui de notre Code civil. Tel est le caractère de la civilisation française, sensible surtout dans l’histoire de sa législation : les mœurs n’y prédominent point, mais les idées.

Le Précis peut servir d’introduction au livre de M. Laferrière, et même le compléter en certains points. Ainsi on y trouve une exposition des lois barbares qui manque dans l’ouvrage de M. Laferrière. Les coutumes y sont traitées moins dans la question de leur origine que dans le contenu même de leurs dispositions. En revanche, l’extrême brièveté de la partie qui concerne les ordonnances fait penser que l’auteur s’est remis du soin de les expliquer sur les développemens que M. Laferrière a donnés à cette portion de l’histoire du droit. Toutefois il ne paraît point que les rédacteurs du Précis se soient inspirés du remarquable travail de M. Laferrière, ni pour la forme, ni pour les idées. En effet, on remarque, dans ce résumé, la recherche plutôt que l’habitude d’un style plus simple et plus clair, une étude plus amoureuse des antiquités du droit, et, avec une certaine retenue philosophique, des idées plus arrêtées sur les causes du progrès de notre législation. L’œuvre de la civilisation française y est presque exclusivement rapportée à l’église. Selon M. Poncelet et M. Rapetti, c’est l’église qui, la première, réalise un ordre social après les désastres de l’invasion. Les Gaulois, les Romains, les barbares, les uns sauvages par corruption, les autres par inexpérience de la vie civile, ne sont qu’une horde prête sans cesse au meurtre et au pillage. La féodalité s’empare d’eux et les enchaîne à la terre. Mais ce gouvernement passager et nécessaire n’est qu’un expédient contre l’extrême anarchie. Vaincus retrempés par la souffrance, vainqueurs dont la force s’exalte par le triomphe, c’est dans l’église qu’ils retrouvent d’abord une cité. L’église tempère la domination des maîtres, vivifie l’esclavage des serfs, oppose au fait incessant de ces inégalités sociales le dogme plus incessant encore de la fraternité ; elle sanctifie le mariage, et par le mariage la famille, et elle substitue enfin aux vengeances atroces qui constituaient toute la justice pénale des premiers temps, le principe de l’expiation par le repentir. C’est elle aussi qui organise une administration de la justice, qui réveille dans les paisibles discussions de ses tribunaux la première science du droit ; c’est elle qui investit le propriétaire et le père de famille de la faculté de tester, et qui institue les actes de l’état civil.

Selon le Précis, la royauté n’a fait que prendre en sous-œuvre la civilisation née de l’église. Forte du concours des communes affranchies, elle tend d’abord à séculariser cette civilisation déjà assez forte pour prospérer de sa propre vie. De là ces grandes luttes des pouvoirs temporel et spirituel. Victorieuse sur ce point, la royauté française commence, sous l’inspiration libre de l’église dont elle est la fille aînée, son œuvre particulière. Garder pure et