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tinguent par une saine érudition, un style net et ferme, des vues élevées, et où l’on pourrait seulement reprendre quelques assertions exclusives et absolues, méritent de servir d’exemple et d’inspirer de pareils travaux sur saint Thomas, Duns Scot et les autres philosophes du moyen-âge. Henri de Gand sera désormais associé à leur souvenir. Son esprit original et indépendant, que le procédé géométrique de la scholastique ne retint que rarement et seulement par des formules banales dans les régions inférieures de l’empirisme, est souvent parvenu à une grande hauteur spéculative. Le nom du Docteur solennel n’est pas perdu pour la science.


Manuel de philosophie, par Henri-Auguste Matthiœ, traduit de l’allemand par M. Poret[1]. — Le livre du professeur Aug.-Henri Matthiœ est le résumé fidèle des doctrines de Kant. La Critique de la raison pure et la Critique de la raison pratique, ces deux grands traités qui, depuis cinquante ans, sont le point de départ de tous les systèmes philosophiques en Allemagne, ont été reproduits dans le manuel de M. Matthiœ, sous leur forme la plus concentrée. Toutefois, dans ce programme destiné à servir de base à l’enseignement des gymnases, l’auteur a négligé un autre traité de Kant, la Critique du Jugement, croyant à tort, selon nous, que l’esthétique ne rentrait point dans le cercle des études philosophiques.

En admettant que la philosophie ait une partie empirique, Kant et ses successeurs n’ont point assez tenu compte des idées qui nous étaient fournies par l’expérience. Les connaissances a priori, d’évidence rationnelle, sont pour l’école allemande toute la philosophie. Pour cette école, l’étude philosophique par excellence est celle qui peut nous conduire à la connaissance des idées de cause, de temps, d’espace, de bien et de beau, c’est-à-dire, à nous mettre en rapport, par la pensée, avec le nécessaire, l’inconditionnel, l’absolu.

Certes, nous croyons, avec l’école de Kant, que la science des plus hautes vérités métaphysiques est la première des sciences, mais ces hautes vérités que nous entrevoyons quelquefois, nous a-t-il été donné de les posséder tout entières, et une philosophie qui s’occupe exclusivement de l’évidence rationnelle ne court-elle pas quelque risque de se consumer dans une stérile spéculation ? Ajoutons que cette philosophie présuppose une étude préparatoire fondée sur l’expérience, l’étude de l’homme considéré non point seulement dans ses rapports avec l’objet de ses connaissances, quel qu’il soit, mais encore comme sujet ; et pour ne citer qu’un exemple, c’est par le principe de causalité, apparent dans notre conscience, que nous arrivons à l’idée de cause première. Or, la philosophie de Kant, réduite aux proportions d’un livre élémentaire, devait avoir pour base la psychologie. Aussi, M. Matthiœ a fait à la psychologie une large part dans son enseignement. C’est d’abord l’intelligence avec tous ses pouvoirs, connaissance du moi, du non-moi ma-

  1. vol. in-8o, chez Joubert, rue des Grès, 14.