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REVUE DES DEUX MONDES.

Lettre sur un manuscrit de Berne, se rattachent aux métiers du XIIIe siècle, et sont à peu près de la même date que le livre de Boileau. Plusieurs recueils antérieurs de poésies des trouvères, entre autres les Dictons populaires de M. Crapelet, contenaient déjà des morceaux analogues ; mais il est encore curieux d’observer, en cette occasion, les bizarres et puérils procédés d’une poésie en enfance, de voir de quels singuliers et simples sujets elle s’inspirait dans ses récits.

Le premier des cinq servantois, publiés par M. Jubinal, a pour sujet les changeors, et paraît être de Jean de Choisi. C’est une simple énumération des personnes auxquelles les changeurs sont indispensables, le marchand et le pèlerin, par exemple. La seconde pièce est plus curieuse et s’adresse aux cordonniers. Eh ! se demande le poète, que faire sans souliers ? l’avarice elle-même ne s’en peut passer, les vœux de voyages à pieds nus en dispensent seuls les ermites, et il faut des chaussures à ceux même qui ont des robes de soie et d’écarlate. Sans cela pourrait-on partir pour guerroyer, pourrait-on surtout aller outre-mer et à Saint-Jacques en pèlerinage ? Le poète développe longuement toutes ces raisons, et il arrive, en terminant, à demander l’aumône pour lui :

De coi il face refaitier
Ses solers, s’il en a mestier.

On le voit, ces pièces étaient destinées à être chantées en public, et le plus souvent, sans doute, devant les artisans dont elles célébraient l’état. Le pauvre jongleur implorait ensuite la pitié de ceux qui l’avaient écouté. En parlant prochainement des œuvres du trouvère Rutebeuf, nous aurons occasion d’examiner au long la condition des poètes au moyen-âge et d’exposer quelques-unes des singularités qui s’y rapportent.

La pièce des tisseranz est une énumération analogue, où l’on peut étudier le grossier et simple procédé des jongleurs qui ne se mettaient pas en grands frais d’imagination. Chaque métier est déclaré tour à tour le plus utile et le plus noble, et des raisons bizarres et naïves sont accumulées pour le prouver. Ainsi que faire sans les tisseranz ? Le marchand dans les foires n’ira pas au-devant du chaland mal vêtu ; mais au contraire :

Et soiez bien certain
N’a si mauvais vilain
Ne si enduresté,
Se il avoit biaux dras,
Chascuns ne l’apelast
Et diroit : « Achetez ! »

Dans ce servantois, le poète insinue fort spirituellement qu’on ferait bien de lui donner de quoi se vêtir. Pour apprécier, dit-il, l’utilité des tisserands et goûter le charme d’une robe, il faut n’en avoir pas eu durant l’hiver, et