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grossièreté des procédés, caractérisaient surtout les productions du moyen-âge et leur enlevaient presque toute valeur littéraire, pour ne plus leur laisser qu’une valeur historique. Cela est si vrai, que les compositions vraiment intéressantes par la naïveté et la grace de la forme, par la finesse des pensées, sont justement celles qui sont les plus courtes. Dans le roman, Berthe aux grands pieds, malgré ses longueurs, quelques courtes histoires en prose, comme le petit Jehan de Saintré, ou Gérard de Nevers ; dans les poésies, quelques délicieuses romances, et des fabliaux charmans ; dans la prose latine, le court mais sublime traité de l’Imitation de Jésus-Christ, ne sont-ils pas, à cause même de leur peu d’étendue, les écrits de ce temps qui ont conservé le plus de valeur ? Raynouard, qui s’occupait de cet idiome des troubadours si poétique et dont les monumens sont moins nombreux que ceux de la langue des trouvères, avait parfaitement compris cela ; il ne publiait que des fragmens choisis. Les éditeurs, de plus en plus nombreux, des productions de la langue d’oïl ne pensent pas ainsi et semblent dédaigner ces anthologies, ces flores, ces analecta que ne rejetaient pas les anciens. Je n’ai point toutefois le courage de me plaindre de cette abondance, qui a bien aussi ses avantages, si elle a ses inconvéniens, puisque, après tout, il sera toujours plus commode de consulter les textes imprimés que les manuscrits.

Le mystère publié par MM. Dessalles et Chabaille, d’après un manuscrit inédit des Archives du royaume, avait cela de remarquable, « qu’au lieu d’être joué par les confrères de la Passion, comme la plupart des mystères connus, il était représenté par une troupe particulière, par une société d’ouvriers qui, tous les ans, se réunissaient pour célébrer la gloire de leurs patrons. » La confrérie des cordonniers de Notre-Dame paraît l’avoir joué en 1458 et 1459, et la composition peut en remonter au commencement du XVe siècle. L’auteur, très versé dans l’étude des livres saints, était sans doute un ecclésiastique.

Les deux frères Crespin et Crespinien suivirent saint Denis à son départ de Rome et vinrent exercer à Soissons la profession de cordonnier. Quand l’empereur Maximien passa dans cette cité, il voulut les forcer à renoncer au christianisme, et sur leur refus, il les abandonna au préfet des Gaules, Rictius Varus, qui les envoya au martyre. Cette persécution se rapporte à l’année 287.

C’est d’après cette donnée historique que l’auteur du mystère a exécuté son drame, divisé en quatre journées. La première de ces journées ne nous est pas parvenue dans le manuscrit incomplet des Archives ; mais il semble probable qu’elle était remplie par les miracles, les prédications et les pieux exercices des deux saints personnages, comme par les conversions que leur foi active accomplissait à Soissons. En effet, au début de la seconde journée, Rictiovaire annonce l’arrestation des deux apôtres chrétiens, qui ne tardent pas à être condamnés à mort ; mais auparavant les bourreaux les accablent, sur la scène, de tourmens et de supplices atroces, pendant qu’en martyrs