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M. de Balzac finit par ressembler à l’inextricable lacis des corridors dans certaines mines ou catacombes. On s’y perd et l’on n’en revient plus, ou, si l’on en revient, on n’en rapporte rien de distinct.

La plus intéressante des trois nouvelles, la seule même qui le soit, s’intitule la Torpille. Ce n’est pas un autre sujet que la courtisane amoureuse :

Et son amour me fait une virginité.
La cheville ouvrière de la conversion est une manière de personnage mystérieux qui, jusqu’à la fin, a tout l’air d’être un honnête jésuite espagnol, et qui se trouve, au démasqué, n’être qu’un de ces sublimes roués dont l’auteur a une escouade en réserve. Le portrait, la description de la personne et de la vie de la Torpille (c’est l’odieux nom de la pauvre fille perdue) accusent ces observations profondes et fines particulières à l’auteur, et respirent une complaisance amollie qui s’insinue bientôt au lecteur, si elle ne le rebute tout d’abord : c’est là un secret et comme un maléfice de ce talent, quelque peu suborneur, qui pénètre furtivement, même au cœur des femmes honnêtes, comme un docteur à privautés par l’alcôve. L’amour, au sein de la courtisane de dix-huit ans, est analysé chatouilleusement. Quand le jésuite, qui la veut rendre digne de son jeune parent et protégé, l’a mise au couvent, le voile d’innocence ignorante et les restes secrets d’impudeur dans cette jeune fille sont poursuivis et démêlés comme les moindres veines sous-cutanées, comme les profonds vaisseaux lymphatiques par le préparateur anatomique habile et amoureux du cadavre. Il y a une page (450, 460) sur la passion du poète, amant de la courtisane, sur son amour qui vole, bondit, rampe ; et cette page me résume et me figure tout ce style même, qui ressemble souvent au mouvement brisé d’une orgie, à la danse continuelle et énervée d’un prêtre de Cybèle. Des mœurs telles qu’elles ressortent de ces prétendues peintures du jour, sont-elles réelles ? Elles sont du moins vraies en ce sens, que plus d’un, aujourd’hui, les rêve. Or, il n’est pas inutile de savoir même les rêves et les cauchemars d’une époque, comme disait Chapelain (en cela plus spirituel que de droit), de même que les médecins s’inquiètent quelquefois des rêves de leurs malades pour les mieux connaître.

À côté des portions bien observées, qu’exprime un style trop complice de son sujet, l’auteur a laissé échapper de singulières inadvertances : en un endroit, Marion Delorme se trouve être une courtisane du XVIe siècle, par opposition à Ninon, qui est du XVIIe ; ailleurs, la vie de Mazarin est donnée comme bien autrement dominatrice que celle de Richelieu, lequel meurt à la fleur du pouvoir : cela devient fabuleux. Je ne sais pourquoi M. de Balzac a gâté le mot charmant qu’il cite de Mme de Maintenon. On avait mis dans un beau bassin propre de Versailles des poissons qui bientôt y mouraient : « Ils sont comme moi, disait-elle, ils regrettent leur bourbe ; » ce que M. de Balzac paraphrase ainsi : « Ils regrettent leurs vases obscures. » Eh bien ! il a dans son expression, là même où l’on ne peut le contredire par une autorité