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DE LA TRAGÉDIE.

arrivent là comme en pays étranger, et qui jugent au foyer nos vieux chefs-d’œuvre comme des vaudevilles nouveaux. Les uns, restés fidèles à la littérature classique, proclament une révolution, ou pour mieux dire, une restauration, et disent tout haut que le romantisme est mort ; les autres, accoutumés au genre à la mode et à tout le fracas de nos mélodrames, s’indignent, soit à plaisir, soit de bonne foi, et paraissent disposés à renouveler les querelles oubliées entre l’ancienne et la nouvelle école ; c’est un assez singulier chaos que toutes ces opinions diverses.

Une jeune fille qui n’a pas dix-sept ans, et qui semble n’avoir eu pour maître que la nature, est la cause de ce changement imprévu qui soulève les plus importantes questions littéraires. Avant d’essayer d’aborder ces questions, il faut dire un mot de la débutante.

Mlle Rachel est plutôt petite que grande ; ceux qui ne se représentent une reine de théâtre qu’avec une encolure musculeuse et d’énormes appas noyés dans la pourpre, ne trouveront pas leur affaire ; la taille de Mlle Rachel n’est guère plus grosse qu’un des bras de Mlle Georges ; ce qui frappe d’abord dans sa démarche, dans ses gestes et dans sa parole, c’est une simplicité parfaite, un air de véritable modestie. Sa voix est pénétrante, et, dans les momens de passion, extrêmement énergique ; ses traits délicats, qu’on ne peut regarder de près sans émotion, perdent à être vus de loin sur la scène ; du reste, elle semble d’une santé faible ; un rôle un peu long la fatigue visiblement.

Si, d’une part, on considère l’âge de cette jeune tragédienne, et si on réfléchit, d’un autre côté, combien l’expérience est indispensable au comédien, seulement pour dire juste, on doit éprouver une grande défiance en voyant paraître un enfant sous les traits d’Hermione et de Monime. Que de sentimens, en effet, ne faut-il pas avoir connus par soi-même, et jusqu’à l’excès, pour oser rendre des rôles si variés, si passionnés, si profonds, tracés par la main des plus grands maîtres qui aient jamais sondé le cœur de l’homme ? Mlle Rachel n’a pas l’expérience du théâtre, et il n’est pas possible qu’à son âge elle ait l’expérience de la vie. On devait donc s’attendre à ne trouver en elle que des intonations plus ou moins heureuses apprises au Conservatoire et répétées avec plus ou moins d’adresse et d’intelligence. Il n’en est rien ; elle ne déclame point, elle parle ; elle n’emploie, pour toucher le spectateur, ni ces gestes de convention, ni ces cris furieux dont on abuse partout aujourd’hui ; elle ne se sert jamais de ces moyens communs, qui sont presque immanquables, de ces contrastes cadencés