Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.
330
REVUE DES DEUX MONDES.

je reconnus, car nuls pas humains ne purent jamais se comparer à ceux-là, retentirent dans le silence du lieu saint avec une indicible harmonie. Ils approchaient de moi, et ne s’arrêtèrent qu’à la place où j’étais agenouillé. Saisi de respect et transporté de joie, j’élevai la voix, et j’achevai distinctement la formule que je n’avais pas interrompue. Quand elle fut finie, je me retournai, croyant trouver debout derrière moi celui que j’avais déjà vu au lit de mort de Fulgence, mais je ne vis personne. L’esprit s’était manifesté à un seul de mes sens. Je n’étais pas encore digne apparemment de le revoir. Il reprit sa marche invisible, et, passant devant moi, il se perdit peu à peu dans l’éloignement. Quand il me parut avoir atteint la grille du chœur, tout rentra dans le silence. Je me reprochai alors de ne lui avoir point adressé la parole. Peut-être m’eût-il répondu. Peut-être était-il mécontent de mon silence, et n’eût-il attendu qu’un élan plus vif de mon cœur vers lui pour se manifester davantage. Cependant je n’osai marcher sur ses traces ni invoquer son retour, car il se mêlait une grande crainte à l’attrait irrésistible que j’éprouvais pour lui. Ce n’était pas cette terreur puérile que les hommes faibles ressentent à l’aspect d’une perturbation quelconque des faits ordinairement accessibles à leurs perceptions bornées. Ces perturbations rares et exceptionnelles, qu’on appelle à tort faits prodigieux et surnaturels, tout inexplicables qu’elles étaient pour mon ignorance, ne me causaient aucun effroi. Mais le respect que m’inspirait cet homme supérieur après sa mort, je l’eusse éprouvé, presque au même degré, si je l’eusse vu durant sa vie. Je ne pensais pas qu’il fût investi, par aucune puissance invisible, du droit de me nuire ou de m’effrayer ; je savais qu’à l’état de pur esprit il devait lire en moi et comprendre ce qui s’y passait, avec plus de force et de pénétration encore qu’il ne l’eût fait lorsque son ame était emprisonnée dans la matière. Au contraire de ces caractères timides qui eussent tremblé de le voir, je ne craignais qu’une chose, c’était de ne jamais lui sembler digne de le voir une seconde fois. Lorsque j’eus perdu l’espérance de le contempler ce jour-là, je demeurai triste et humilié. J’étais arrivé à me persuader qu’il n’était point mort hérétique, et que son ame ne subissait pas les tourmens du purgatoire, mais qu’elle jouissait dans les cieux d’une éternelle béatitude. Ses apparitions étaient une grâce, une bénédiction d’en haut, un miracle qui s’était accompli en faveur de Fulgence et de moi ; c’était pour moi un doux et glorieux souvenir, mais je n’osais demander plus qu’il ne m’était accordé.

Dès ce jour, je m’adonnai au travail avec ardeur, et, en moins de