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l’avez été jusqu’à ce jour. Nous aimerions à pardonner cette faute, la première de votre vie religieuse qui nous ait offert de la gravité. Nous le ferions avec joie, si vous montriez assez de confiance en nous pour vous humilier devant notre paternelle autorité, et si, tout en reconnaissant vos torts, vous preniez l’engagement solennel de ne jamais retomber dans une telle résistance, en faveur des profanes maximes d’une mondaine loyauté.

— Mon père, répondis-je, j’ai sans doute commis une grande faute, puisque vous condamnez ma conduite ; mais Dieu réprouve les vœux téméraires, et quand nous faisons un ferme propos de ne plus l’offenser, ce n’est point par des sermens, mais par d’humbles vœux et d’ardentes prières que nous obtenons son assistance future. Nous ne saurions tromper sa clairvoyance, et il se rirait de notre faiblesse et de notre présomption. Je ne puis donc m’engager à ce que vous me demandez.

Ce langage n’était pas celui de l’église, et, à mon insu, un instant d’indignation venait de tracer en moi une ligne de démarcation entre l’autorité de la foi et l’application de cette autorité entre les mains des hommes. Le prieur n’était pas de force à s’engager dans une discussion avec moi. Il prit un air d’hypocrite compassion, et me dit d’un ton affligé qui déguisait mal son dépit : — Je serai forcé de confirmer ma sentence, puisque vous ne vous sentez pas la force de me rassurer à l’avenir sur une seconde faute de ce genre.

— Mon père, répondis-je, je ferai double pénitence pour celle-ci. Je la fis en effet ; je prolongeai tellement mes macérations, qu’on fut forcé de les faire cesser. Sans m’en douter, ou du moins sans l’avoir prévu, j’allumai de profonds ressentimens, et j’excitai de vives alarmes dans l’esprit des supérieurs, par l’orgueil d’une expiation qui désormais me déclarait invulnérable aux atteintes des châtimens extérieurs. Fulgence fut vivement frappé du caractère inattendu que cette conduite, de ma part, révélait aux autres et à moi-même. Il lui échappa de dire que, du temps de l’abbé Spiridion, de telles choses ne se seraient point passées.

Ces paroles me frappèrent à mon tour, et je lui en demandai l’explication un jour que je me trouvai seul avec lui. — Ces paroles signifient deux choses, me répondit-il : d’abord que jamais l’abbé Spiridion n’eût cherché à arracher de la bouche d’un ami le secret d’un ami ; ensuite que, si quelqu’un l’eût osé tenter, il eût puni la tentative et récompensé la résistance. — Je fus fort surpris de cet instant d’abandon, le seul peut-être auquel Fulgence se fût livré