Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
SPIRIDION.

car l’esprit vit à jamais, il est l’éternel producteur et l’éternel aliment de l’esprit ; il nourrit ce qu’il engendre ; et comme chaque destruction alimente une production nouvelle dans l’ordre matériel, de même chaque souffle intellectuel entretient, par une invisible communion, le souffle éveillé par lui dans un sanctuaire nouveau de l’intelligence. »

Ce discours n’éveilla pas dans le sein de Fulgence une ardeur plus grande que son maître ne l’avait pressenti ; Spiridion l’avait bien jugé en lui disant que l’heure de la connaissance n’était pas sonnée pour lui. Sans doute, des esprits plus hardis et des cerveaux plus vastes que celui de Fulgence eussent pu être institués dépositaires du secret de l’abbé ; à cette époque il s’en trouvait encore dans le cloître. Mais, sans doute aussi, ces caractères ne lui offraient point une garantie suffisante de sincérité et de désintéressement ; il devait craindre que son trésor ne devînt un moyen de puissance temporelle ou de gloire mondaine dans les mains des ambitieux, peut-être une source d’impiété, une cause d’athéisme, sous l’interprétation d’une ame aride et d’une intelligence privée d’amour. Il savait que Fulgence était, comme dit l’Écriture, un or très pur, et que si, le courage lui manquant, il venait à ne point profiter du legs sacré, du moins il n’en ferait jamais un usage funeste. Quand il vit avec quelle humble résignation ce disciple bien-aimé avait écouté ses confidences, il s’applaudit de l’avoir laissé à son libre arbitre, et lui fit jurer seulement qu’il ne mourrait point sans avoir fait passer le legs en des mains dignes de le posséder. Fulgence le jura. — Mais, ô mon maître ! s’écria-t-il, à quoi connaîtrai-je ces mains pures ? et, si nul ne m’inspire assez de confiance pour que je lui transmette votre héritage, du sein de la tombe votre voix ne montera-t-elle pas vers moi pour tancer mon aveuglement ou ma timidité ? Pourrai-je, quand la lumière sera éteinte, me diriger seul dans les ténèbres ?

— Aucune lumière ne s’éteint, répondit l’abbé, et les ténèbres de l’entendement sont, pour un esprit généreux et sincère, des voiles faciles à déchirer. Rien ne se perd, la forme elle-même ne meurt pas ; et, ma figure restant gravée dans le plus intime sanctuaire de ta mémoire, qui pourra dire que ma figure a disparu de ce monde et que les vers ont détruit mon image ? La mort rompra-t-elle les liens de notre amitié, et ce qui est conservé dans le cœur d’un ami a-t-il cessé d’être ? L’ame a-t-elle besoin des yeux du corps pour contempler ce qu’elle aime, et n’est-elle pas un miroir d’où rien ne s’efface ? Va, la mer cessera de refléter l’azur des cieux avant que l’image d’un