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SPIRIDION.

de son calice. Et comme il n’avait d’autre but et d’autre désir que la vérité, que rien hors elle ne l’intéressait ici-bas, il vivait absorbé dans ses douloureuses contemplations ; ses regards erraient sans cesse dans le vague qui l’entourait comme un océan sans bornes, et il voyait l’horizon reculer sans cesse devant lui à mesure qu’il voulait le saisir. Perdu dans cette immense incertitude, il se sentait pris peu à peu de vertige, et se mettait à tourbillonner sur lui-même. Puis, fatigué de ses vaines recherches et de ses tentatives sans espérance, il retombait affaissé, morne, désorganisé, ne vivant plus que par la sourde douleur qu’il ressentait sans la comprendre.

Pourtant il conservait encore assez de force pour ne rien laisser voir au dehors de sa misère intérieure. On soupçonnait bien à la pâleur de son front, à sa lente et mélancolique démarche, à quelques larmes furtives qui glissaient de temps en temps sur ses joues amaigries, que son ame était fortement travaillée, mais on ne savait par quoi. Le manteau de sa tristesse cachait à tous les yeux le secret de sa blessure. Comme il n’avait confié à personne la cause de son mal, personne n’aurait pu dire s’il venait d’une incrédulité désespérée ou d’une foi trop vive que rien sur la terre ne pouvait assouvir. Le doute, à cet égard, n’était même guère possible. L’abbé Spiridion accomplissait avec une si irréprochable exactitude toutes les pratiques extérieures du culte, et tous ses devoirs visibles de parfait catholique, qu’il ne laissait ni prise à ses ennemis, ni prétexte à une accusation plausible. Tous les moines, dont sa rigide vertu contenait les vices et dont ses austères labeurs condamnaient la lâche paresse, blessés à la fois dans leur égoïsme et dans leur vanité, nourrissaient contre lui une haine implacable, et cherchaient avidement les moyens de le perdre ; mais, ne trouvant pas dans sa conduite l’ombre d’une faute, ils étaient forcés de ronger leur frein en silence, et se contentaient de le voir souffrir par lui-même. Hébronius connaissait le fond de leur pensée, et, tout en méprisant leur impuissance, s’indignait de leur méchanceté. Aussi, quand, par instans, il sortait de ses préoccupations intérieures pour jeter un regard sur la vie réelle, il leur faisait rudement porter le poids de leur malice. Autant il était doux avec les bons, autant il était dur avec les mauvais. Si toutes les faiblesses le trouvaient compatissant, et toutes les souffrances sympathique, tous les vices le trouvaient sévère, et toutes les impostures impitoyable. Il semblait même trouver quelque adoucissement à ses maux dans cet exercice complet de la justice. Sa grande ame s’exaltait encore à l’idée de faire le bien. Il n’avait plus de règle certaine