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des larmes et bien des insomnies. Après avoir dépouillé de sa divinité le père du christianisme, il ne craignit pas de demander compte à lui et à ses successeurs de l’œuvre humaine qu’ils avaient accomplie. Le compte fut sévère. Héhronius alla au fond de toutes les choses. Il trouva beaucoup de mal mêlé à beaucoup de bien, et de grandes erreurs à de grandes vérités. Le grand champ catholique avait porté autant d’ivraie peut-être que de pur froment. Dans la nature d’esprit d’Hébronius, l’idée d’un Dieu pur esprit, tirant de lui-même un monde matériel et pouvant le faire rentrer en lui par un anéantissement pareil à sa création, lui semblait être le produit d’une imagination malade, pressée d’enfanter une théologie quelconque ; et voici ce qu’il se disait souvent : « Organisé comme il l’est, l’homme, qui ne doit pourtant juger et croire que d’après ses perceptions, peut-il concevoir qu’on fasse de rien quelque chose et de quelque chose rien ? Et, sur cette base, quel édifice se trouve bâti ? Que vient faire l’homme sur ce monde matériel que le pur esprit a tiré de lui-même ? Il a été tiré et formé de la matière, puis placé dessus, par le Dieu qui connaît l’avenir, pour être soumis à des épreuves que ce Dieu dispose à son gré et dont il sait d’avance l’issue ; pour lutter en un mot contre un danger auquel il doit nécessairement succomber, et expier ensuite une faute qu’il n’a pu s’empêcher de commettre. »

Cette pensée des hommes appelés, sans leur consentement, à une vie de périls et d’angoisses, suivie pour la plupart de souffrances éternelles et inévitables, arrachait à l’ame droite d’Hébronius des cris de douleur et d’indignation : « Oui, s’écriait-il, oui, chrétiens, vous êtes bien les descendans de ces juifs implacables qui, dans les villes conquises, massacraient jusqu’aux enfans des femmes et aux petits des brebis, et votre Dieu est le fils agrandi de ce Jéhovah féroce qui ne parlait jamais à ses adorateurs que de colère et de vengeance ! »

Il renonça donc sans retour au christianisme ; mais, comme il n’avait plus de religion nouvelle à embrasser à sa place, et que, devenu plus prudent et plus calme, il ne voulait pas se faire inutilement accuser encore d’inconstance et d’apostasie, il garda toutes les pratiques extérieures de ce culte qu’il avait intérieurement abjuré. Mais ce n’était pas assez d’avoir quitté l’erreur ; il aurait encore fallu trouver la vérité. Hébronius avait beau tourner les yeux autour de lui, il ne voyait rien qui y ressemblât. Alors commença pour lui une suite de souffrances inconnues et terribles. Placé face à face avec le doute, cet esprit sincère et religieux s’épouvanta de son isolement, et se prit à suer l’eau et le sang, comme le Christ sur la montagne, à la vue