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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

Maintenant le bateau à vapeur va de Drontheim à Hammerfest en huit jours. Il s’arrête quelques heures ici et là, un jour à Sandtorv, deux jours à Tromsœ, et apporte avec lui les lettres, les journaux, les nouvelles du sud. C’est un messager savant qui parcourt une contrée lointaine, c’est une veine de sang généreux qui pénètre jusqu’au cœur de ces froides régions. Quand il parut pour la première fois en Finmark, c’était au mois de mars dernier, un jour où il naviguait avec le vent contraire ; les habitans de la côte ne comprenaient pas sa puissance. Ils le regardaient tous avec une sorte de stupéfaction, et en voyant cette lourde machine s’avancer vers eux malgré le vent et les flots, les uns la prenaient pour une baleine, d’autres pour ce vaisseau fabuleux, ce vaisseau maudit que les matelots ont entrevu parfois errant sur les vagues, sans gouvernail et sans voiles. Mais avec leur intelligence de marins, ils ont bientôt découvert la force secrète de ce bateau ; lorsqu’ils le voient, ils le saluent et l’admirent ; les hommes d’un esprit plus développé, les fonctionnaires, les prêtres, les riches marchands, ne prononcent son nom qu’avec un sentiment de reconnaissance ; le drapeau norwégien se déploie au bord de toutes les îles devant lesquelles il s’arrête, et le jour où il arrive les jeunes filles se parent comme pour un jour de fête. Si, après tous ces témoignages de joie, j’avais pu douter encore de l’influence du bateau à vapeur en Norland, j’aurais été converti le jour où j’ai entendu un habitant de Bodœ, dont je respectais le savoir autant que le caractère, s’écrier avec un accent d’enthousiasme : « Nous devons bénir à jamais celui qui le premier songea à nous envoyer le Prince Gustave ; car nous étions pauvres, et il nous a enrichis ; nous n’avions ni livres, ni journaux, et il nous en a apporté ; nous vivions dans une espèce de thébaïde, et il nous a rapprochés du monde. » J’ajouterai à cette digression sur le bateau à vapeur un aveu auquel un voyageur ne se résigne pas facilement, c’est que, depuis qu’il existe, il n’y a plus aucun mérite à voyager le long de ces mers orageuses et de ces côtes arides. On trouve sur le bateau à vapeur un salon élégant, des couchettes commodes, et un restaurateur qui se fait gloire d’apporter avec lui une ample provision de vins de France. Le bâtiment est commandé par un lieutenant de la marine royale, M. Grunch, qui, dès le jour de notre arrivée à bord, nous avait tous séduits par ses soins obligeans et sa politesse aimable. On s’en va ainsi de Drontheim à Hammerfest, entre des livres et des journaux, sur un canapé de soie, dans un salon de bonne compagnie. Il ne manque plus qu’un bateau à vapeur de Christiania à Bergen, et le voyage, que l’on regardait encore, il y a quelques années, comme une entreprise audacieuse, deviendra tout simplement une promenade par eau. Le bourgeois parisien pourra s’embarquer à bord de la Normandie, et en se laissant conduire à Hambourg, à Copenhague, en s’endormant quelques nuits de suite dans sa cabine, il se réveillera un beau matin dans le port de Hammerfest, au 70e degré de latitude, à quelques lieues du cap Nord.

Nous venions de voir, sur les bords du lac Miœssen et dans le Guldbrands-