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plus tard par plusieurs legs considérables. On a plusieurs fois lancé contre elle de violentes épigrammes ; on lui a reproché amèrement son inaction. Le fait est que ses collections d’art et de livres ne sont pas en fort bon ordre, que ses mémoires ne sont ni très volumineux, ni très savans ; mais elle a su mettre plusieurs fois d’intéressantes questions au concours, récompenser des œuvres de mérite, et quand des hommes de talent ont réclamé son appui pour entreprendre un voyage utile, ils ne l’ont pas réclamé en vain. Le recteur du gymnase de Drontheim, quels que soient ses titres littéraires, est en quelque sorte président né de cette académie. Le gouverneur, les principales autorités en font nécessairement partie, et les marchands trouvent en général peu de difficultés à s’y faire inscrire. Mais les marchands de Drontheim n’ont pas l’esprit aussi étroit que ceux de Hambourg. Le calme qui les entoure, les longues soirées d’été, et les soirées d’hiver plus longues encore, leur donnent l’habitude de s’entourer, dans leur isolement, des livres et des objets d’art. Moyennant une cotisation annuelle qu’ils se plaisent à acquitter, ils reçoivent très promptement les ouvrages étrangers et les revues, qu’ils emportent chez eux et qui passent de main en main jusqu’à ce que le bibliothécaire de la société les place dans le dépôt central. J’ai trouvé chez l’un d’eux, au mois de juin, la Chute d’un Ange de M. de Lamartine, qui avait paru au mois de juin à Paris. À Stockholm, on ne recevra peut-être pas ce poème avant un an.

C’est une chose intéressante que d’entrer dans la maison de ces négocians et de passer en revue les divers sujets d’observation qu’elle présente. Il y a dans cette vieille ville de Drontheim des familles ou depuis plusieurs siècles les spéculations commerciales ont passé comme une charge héréditaire de père en fils. Chaque génération a déposé là son tribut de meubles et d’argenterie, et l’on compte les entreprises qu’elle a faites, les navires qu’elle a expédiés, les livres de caisse qu’elle a remplis, comme on compte dans une famille parlementaire les débats célèbres auxquels un conseiller a pris part et les discours qu’il a prononcés. Pour être admis chez ces honnêtes négocians, il n’est pas besoin de lettres de recommandation. Le titre d’étranger suffit pour éveiller en eux un sentiment de bienveillance, pour obtenir une réception souvent cordiale et du moins toujours hospitalière. L’hiver ils vous gardent la première place à leur foyer, l’été ils vous emmènent dans leurs maisons de campagne. Les environs de Drontheim présentent plusieurs beaux et larges points de vue. Ici le regard plane sur le golfe ; là il repose sur la cathédrale ; ailleurs il s’égare sur la cascade de Leer, sur la vallée du Nid ou sur les cimes dentelées des montagnes, et les marchands qui peuvent avoir une villa lui choisissent pour premier ornement une situation pittoresque, une perspective étendue. Il y a chez ces hommes du Nord un amour de la nature qui jette sur leur vie une teinte constante de poésie. Plus leur sol est aride et leur ciel rigoureux, plus ils s’attachent à ses beautés éphémères. Le dimanche, quand ils vont à la campagne se reposer des travaux de la semaine, ils se réjouissent d’un bourgeon qui éclot sur leurs arbustes, d’un