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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

struite vers l’an 1050, et l’aile gauche, dessinée plus tard sur le même modèle, présentent un beau type de style bysantin. Là est la grande arcade ronde partagée par une colonne, le pilier massif, le chapiteau carré et plat, et le contour du plein cintre festonné. Le style gothique commence à la nef, qui s’étendait autrefois beaucoup plus loin qu’à présent, et dont le protestantisme, avec ses habitudes de comfort, a complètement masqué les formes par des tribunes en bois qui s’élèvent l’une sur l’autre comme des loges de théâtre. Ce style est simple, composé avec goût, mais peu orné et peu hardi. Toute son élégance, toute sa richesse, semblent avoir été réservées pour le chœur : c’est une enceinte de huit arcades légères comme des rameaux d’arbres, détachées comme un berceau de feuillage du reste de l’édifice ; et les colonnes qui portent vers la voûte ces gracieuses ogives, la ceinture de fleurs et de festons qui l’entoure, les deux petites chapelles qui le gardent de chaque côté, comme deux ailes d’ange, tout ce qui appartient à cet antique sanctuaire du catholicisme est fait avec tant de légèreté et d’abandon et offre tant de charmantes combinaisons de détail et d’ensemble, que la pierre semble avoir cédé comme une cire molle à l’inspiration de l’artiste. Les ogives se croisent comme des plantes touffues qui, ne trouvant pas assez de place pour se développer à l’écart, reposent l’une sur l’autre, et leur forme varie à chaque pas, comme les arabesques capricieuses d’un manuscrit du moyen-âge. Tantôt c’est un pilier uni qui s’élance du sol et jette dans les airs trois branches pareilles à celles du candélabre biblique ; tantôt, sur la nervure de l’arcade, on voit surgir une bande de dentelles que l’on dirait découpées par la main d’une jeune fille, ou un collier de perles arrondies dans le marbre, ou de longues lignes de feuillage qui semblent avoir grandi entre les moulures de la pierre comme des saxifrages entre les fentes du rocher. Ici la colonne, fine et déliée, porte pour chapiteau une touffe de fleurs, ailleurs un fruit du midi ou de larges feuilles de palmier, dont un croisé, peut-être, rapporta le modèle des bords du Jourdain ; puis des têtes de prêtres posées à chaque angle avec un air de recueillement, et quelquefois suspendues à une tige légère, comme des étamines à leurs pistils. Çà et là on rencontre aussi quelques traces de ces rêves hideux qui se mêlaient, dans les églises, aux chastes inspirations de l’art du moyen-âge, comme une idée de doute à un sentiment de foi, comme un rire sceptique à une fervente prière. On aperçoit sur le pourtour d’une colonne un visage de moine qui grimace, un buste de religieux qui se termine en queue de dragon. Mais ces images sont peu nombreuses et peu apparentes ; elles s’effacent au milieu de cette végétation cosmopolite qui étale ses fleurs, ses fruits et ses rameaux autour du chœur ; elles se perdent dans l’ombre de ces colonnades éclairées seulement par la mystérieuse lumière des fenêtres à ogives.

Comme cette cathédrale du Nord devait être belle jadis, avec ses neuf grandes portes, ses dix-huit autels et ses trois mille piliers, les uns taillés dans les carrières de marbre d’Italie, les autres dans les rocs du Groenland !