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de la voir se briser sur une route où nous n’aurions trouvé ni charpentier ni forgeron, nous allâmes au pas. Onze heures du soir sonnaient quand, du haut du Steenberg, nous vîmes se dérouler devant nous un vaste et beau panorama : c’était le golfe de Drontheim, large comme la pleine mer, bordé par une longue chaîne de montagnes qui ressemble à un rempart crénelé, et, dans la presqu’île formée par le golfe et le Nid, les maisons de cette vieille cité du Nord, réunies, serrées l’une contre l’autre, comme pour mieux supporter le souffle du vent, l’effort des vagues, le poids de la neige. C’était une de ces nuits limpides des régions polaires où le ciel est pur et étoilé, où les rayons d’un crépuscule d’or remplacent le soleil, qui n’abandonne l’horizon que pour y revenir quelques instans après. Des teintes de lumière molles et argentées inondaient la surface du lac, et la base des montagnes était toute bleue, tandis que les dernières lueurs du jour étincelaient encore sur leurs cimes. Une sorte de voile imprégné de lumière et transparent s’étendait sur la ville, et l’antique cathédrale était là dans ce mélange d’ombre et de clarté, pareille à une de ces images lointaines que la mémoire fait revivre à travers le passé qui les obscurcit. Sur le golfe, tout était calme ; on n’entendait que les soupirs des vagues, qui venaient baiser du bout de leurs lèvres les plantes du rivage, et s’enfuyaient avec une couronne de roseaux et un collier d’écume. Dans la ville, tout dormait ; nous traversâmes les places et les rues sans rencontrer un être vivant, sans entendre un seul bruit. Quand j’aurais choisi moi-même l’heure à laquelle je devais visiter Drontheim, je n’aurais pu en trouver une plus belle et plus imposante. Dans ce silence de la nuit, dans cette ombre du crépuscule, la vieille ville des rois de Norwége était pour moi comme un livre ouvert dans le recueillement et la solitude. Sur une de ses pages, je lisais une saga glorieuse ; sur une autre, un chant de scalde chanté le soir au foyer du jarl ; ici les premières lignes d’une légende de saint, là le roman d’amour d’Axel et Valborg. Je m’en allais ainsi de rue en rue, reprenant l’un après l’autre tous les anneaux de cette chaîne du passé, et alors j’oubliais les années inscrites sur le calendrier depuis ces époques de guerre et d’aventure, et il me semblait que je devais voir apparaître encore sur les vagues la barque du Vikingr, entendre le chant des matines au cloître de Munkholm, et visiter dans la cathédrale la merveilleuse châsse de saint Olaf. L’aspect des magasins bâtis le long du golfe anéantit mon rêve ; la poétique cité des traditions islandaises disparut, et je ne vis plus que la cité marchande.

L’origine de Drontheim se rattache à l’une des époques les plus mémorables de l’histoire de Norwége, à l’époque où le paganisme commençait à tomber en ruines, où le jarl Hakon, abandonné de ses soldats, trahi par un esclave, mourait avec les dieux qu’il avait adorés, tandis qu’Olaf Tryggvason, son valeureux adversaire, reprenait le sceptre conquis par son aïeul Harald Haarfager, et sur la pierre sanglante des sacrifices posait la croix, symbole de la paix. Jeune, il avait connu les douleurs de l’exil et les joyeux périls