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impulsion nouvelle, et on donne à entendre qu’il ne s’agit plus seulement de la guerre de Circassie. De quoi s’agit-il donc, si ce n’est d’une campagne à Constantinople et dans l’Anatolie, au premier prétexte que donneraient une agression du pacha d’Égypte, un renouvellement de ses projets d’indépendance, ou quelque tentative sérieuse de la part du divan, pour échapper à l’influence russe ? Car la Russie ne ménagera son ancienne ennemie, et son alliée bien équivoque du moment présent, qu’à une condition : c’est que son ambassadeur sera plus puissant à Constantinople que le sultan lui-même, qu’il y tiendra tous les fils du gouvernement et de l’administration, et restera le maître, comme il l’est aujourd’hui, de faire destituer les fonctionnaires qui encourageraient ou toléreraient le commerce de contrebande entre les ports turcs de la mer Noire et les peuplades du Caucase. Il est évident que l’Angleterre cherche maintenant à soustraire le divan à un ascendant qui lui pèse, et qu’elle a réussi, par l’entremise de Reschid-Pacha, à faire accepter des offres éventuelles de secours. La réunion de l’escadre de l’amiral Stopford avec celle du capitan-pacha, la parfaite intelligence établie entre les deux commandans, toutes les mesures prises pour assurer entre les deux flottes une coopération active et donner à leurs mouvemens une direction commune, ce sont là des faits bien remarquables et de nature à éveiller la jalouse susceptibilité du cabinet de Pétersbourg. Jamais, en effet, l’espèce de domination qu’il avait fondée à Constantinople, par le traité d’Unkiar-Skelessi, n’a dû paraître plus sérieusement menacée, et il y a dans une pareille situation les élémens d’évènemens plus décisifs. Je crois que les deux gouvernemens s’y préparent ; mais l’opinion des gouvernés a devancé la résolution des gouvernans. En Angleterre surtout, la nation désire ardemment une guerre contre la Russie ; c’est le vœu de tous les partis. Whigs et tories n’ont là-dessus qu’une voix, et, malgré la force des habitudes de notre civilisation, qui rapprochent les classes élevées de tous les pays de l’Europe, pour n’en faire qu’une seule société dont tous les membres ont les mêmes goûts et parlent la même langue, l’éloignement des Anglais pour les Russes s’est prononcé cette année en Allemagne, aux eaux et dans les cercles, avec une énergie hautement significative. Cependant voilà un nouvel ambassadeur d’Angleterre qui se rend à Pétersbourg. C’est lord Clanricarde, un des plus ardens réformistes de la chambre des lords, et par conséquent dans les mêmes principes politiques que son prédécesseur, lord Durham. Le marquis de Clanricarde a épousé la fille de Canning, et appartient à une ancienne famille irlandaise. Il est plus jeune que lord Durham et que M. Villiers, l’un des plus jeunes représentans de la Grande-Bretagne près des cours étrangères. On lui a donné, comme premier secrétaire d’ambassade, M. Henri Lytton Bulwer, frère du romancier, et qui a dû puiser, dans l’exercice des mêmes fonctions à Constantinople, sous lord Ponsonby, une connaissance approfondie de la question d’Orient.

Depuis un mois que je ne vous ai parlé de l’Espagne, l’état de ce malheu-