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souillée par le mensonge ; et, sans répondre, il poursuit ses travaux avec une tranquille confiance dans l’impartialité publique.

Vous peindrai-je les mêmes journaux qui ne peuvent supporter les contradictions d’un esprit indépendant, adoptant sur-le-champ avec enthousiasme d’anciens adversaires, objets connus de leurs plus vives colères, parce que ces adversaires ont fait éclater leur dépit contre le cabinet du 15 avril ? Dès-lors tout est mis en oubli, et les hommes pour lesquels autrefois on n’avait pas assez d’anathèmes, sont enrôlés parmi les soutiens des libertés publiques. Ces caprices et ces inconséquences ne sont pas acceptés par l’opinion. Vous parlerai-je aussi des fausses nouvelles envoyées en province et à l’étranger, pour que de l’étranger et de la province elles reviennent à Paris ? Vous montrerai-je la presse servant d’instrument aux inimitiés particulières, aux basses jalousies, permettant à l’envieux anonyme de jeter quelques lignes dans ses colonnes pour injurier une réputation ? Hélas ! monsieur, ces misères, vous les connaissez mieux que moi ; vous avez sondé l’abîme ; vous avez vu de près ces folliculaires impurs mordant la main qu’on leur avait tendue, et qu’ils avaient serrée souvent avec reconnaissance.

Le résultat de cette mauvaise conduite est, pour me servir d’une expression douce, l’indifférence publique. La presse quotidienne, en général, est descendue de la haute importance qui l’avait soutenue pendant long-temps au milieu des épreuves les plus difficiles ; elle en est venue à ce degré d’impuissance, qu’elle ne peut plus aujourd’hui, ni imprimer un mouvement, ni élever ou défaire une réputation. Elle a blasé le goût public ; on la lit sans y croire ; souvent on ne la lit plus, et ses divagations ont amené je ne sais quel engourdissement du sens moral.

Cela est un grand mal, monsieur, car à vos yeux, sans doute, comme aux miens, la presse est un des élémens nécessaires de notre civilisation politique ; et cependant ses fautes lui ont tellement aliéné les esprits, que ses droits sont mis en doute, et les services qu’elle peut rendre, méconnus et niés. Dans la même nation qui, il y a dix ans, ne supportait qu’en frémissant le joug de la censure, beaucoup en sont venus à se demander avec effroi si tout ce dévergondage d’écriture est l’état normal d’un pays. Cette disposition d’un grand nombre d’esprits est fâcheuse, car on ne saurait trop se convaincre qu’il nous faut vivre tous avec les avantages et les inconvéniens de la liberté de la presse ; tous, gouvernement et citoyens, pouvoir et société. En vérité, nous conjurerions presque les écrivains qui peuvent