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LA PRESSE POLITIQUE.

Mais combien vous devez vous estimer heureux, si vos ennemis sont aveuglés, si leur fureur les égare jusqu’à vous servir, parce qu’elle provoque dans le public une résistance de justice et un retour d’impartialité. Le public lit les libelles, mais il les juge ; il reconnaît que telle assertion est un mensonge, telle phrase une perfidie ; il permet, il accueille l’attaque, mais il se réserve de la mépriser et de la flétrir, si bien qu’il arrive souvent que, par l’hyperbole de l’invective et de la calomnie, vos ennemis ont amené votre éloge sur les lèvres du lecteur. Voilà le service dont les ministres du 15 avril ont pu souvent remercier leurs adversaires, non pour l’intention sans doute, mais pour le résultat. Il y a trois mois et demi, le ministère avait pour lui la force que donne une session traversée avec le concours parlementaire ; il a de plus aujourd’hui les fautes de la presse et la réaction du public contre tant d’excès.

Un mot maintenant, monsieur, sur la manière dont certains organes de la presse répondent aux écrivains dont ils veulent combattre les opinions. Certes, rien ne serait plus utile qu’une polémique raisonnée entre des publicistes sur des points importans ; c’est ainsi que se formeraient les convictions publiques, et qu’on pourrait préparer d’importantes solutions. Voilà un de ces avantages incontestables que présente la liberté de la presse, et qui pourrait racheter bien des inconvéniens. Eh bien ! monsieur, nous ne pouvons en jouir ; nous en sommes frustrés par la mauvaise foi des assaillans. Quelle polémique est possible, quand le journal qui blâme une opinion ne s’attache pas à la réfuter, mais à la falsifier ; quand les bases de la discussion sont altérées ou détruites, et quand un faux, un faux bien caractérisé, vient prendre la place du raisonnement ? Vous savez combien les appréciations des faits politiques sont délicates, combien elles comportent de nuances, combien leur vérité se compose d’élémens divers ; pour les discuter, la plus scrupuleuse exactitude dans les mots est nécessaire ; et le premier devoir de l’écrivain qui veut en réfuter un autre, est de citer loyalement ce qu’il veut combattre. Mais tels ne sont pas aujourd’hui les procédés de certaine presse ; à la lire, on reconnaît clairement qu’elle s’attache moins à éclairer le public qu’à lui donner le change, qu’elle désire moins ramener au vrai ses adversaires que les compromettre dans l’opinion : si un moment elle a pu faire croire aux lecteurs que tel publiciste a dit ce qu’il n’a pas dit, elle estime avoir remporté un beau triomphe. Aussi l’honnête homme qui eût accepté une discussion franche et profitable à tous, s’éloigne avec dédain d’une arène