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a-t-elle loué avec empressement et franchise les mesures du ministre de l’instruction publique ? a-t-elle applaudi à la création judicieuse de centres d’instruction et de lumières dans plusieurs de nos grandes cités ? Non, monsieur, on n’a pas eu un éloge, ni pour l’administration, ni pour les jeunes et brillans professeurs qu’elle instituait ; on a même accusé le pouvoir de tendre à multiplier les demi-savans et, par une conséquence naturelle, les fausses vocations, en ouvrant de nouveaux cours, en offrant un nouvel aliment à l’activité de la jeunesse française. L’argument est original, surtout sous la plume d’écrivains qui se donnent pour les champions exclusifs du progrès et de la liberté. Que certains journaux y prennent garde : ils marchent, à leur insu sans doute, à un divorce complet avec les générations nouvelles ; à force de labourer toujours les mêmes ornières, de se prélasser dans les mêmes redites, de fermer leur esprit et leurs colonnes à tout ce qui occupe la pensée et l’imagination des hommes jeunes, ils finiront par tomber dans un véritable isolement, et, tout journaux qu’ils sont, à ne plus se trouver de leur époque.

Est-ce à dire, monsieur, qu’il n’y ait pas lieu à une critique raisonnée des actes du ministère ? Vous ne me prêterez pas cette étrange pensée. L’opposition est à la fois dans la charte et dans la nature humaine ; ce n’est pas, d’ailleurs, en notre pays qu’on court risque de la laisser chômer et dormir. Mais il ne suffit pas que son existence soit légale et que parfois le public lui prête volontiers l’oreille, pour que son triomphe soit assuré. Loin de là ; plus elle est libre, plus elle parle avec impunité, plus à son tour elle est l’objet d’un examen sévère ; alors si elle ne tient pas compte de la différence des temps et des hommes, si elle tonne au milieu du calme universel, comme si elle avait à résister à des réactions furieuses ; si elle s’adresse à des hommes d’état d’une probité politique au-dessus de tout soupçon, comme MM. Molé, Montalivet et Barthe, du même ton qu’elle pourrait prendre pour attaquer des ministres prévaricateurs et coupables, elle se déconsidère et se détruit elle-même par les excès et l’injustice de ses déclamations. Je ne crains pas de mettre au nombre des bonnes fortunes du ministère, qui en a déjà trouvé plusieurs dans sa route, l’exagération de ses adversaires. Comme dans notre siècle il n’y a ni position si haute, ni mérite si vrai qui puisse espérer de n’être point attaqué, que doivent désirer tous ceux qui sont exposés au jugement du monde, rois, ministres, écrivains, orateurs, artistes, savans et poètes, si ce n’est d’être mal attaqués ? N’avoir pas d’ennemis est impossible, et d’ailleurs, serait humiliant.