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LA PRESSE POLITIQUE.

saient au public autant d’élémens d’un heureux avenir que la dissolution vint encore rendre plus facile, puisqu’elle appelait une chambre nouvelle, sans aucun engagement avec le passé, soit pour le blâme, soit pour l’éloge. J’accorde que les évènemens aient pu tromper quelques espérances ou certaines ambitions ; mais ces contrariétés qu’éprouvaient les partis et les hommes devaient-elles les entraîner dans des exagérations sans profit comme sans excuse ? Qu’a gagné l’opposition à attaquer le ministère du 15 avril, comme s’il eût été composé d’hommes violens, rebelles à l’esprit de leur époque et contre-révolutionnaires systématiques ? Elle n’a réussi qu’à mieux mettre en lumière les actes et la personne des hommes d’état contre lesquels elle se déchaînait. Le public s’est mis à comparer la réalité avec les invectives de la presse, et il a estimé davantage ceux qu’il trouvait dénigrés avec une si révoltante injustice.

Vous savez, monsieur, si ces clameurs ont empêché le public de reconnaître dans M. Molé un homme d’état consommé, qui, mêlé aux évènemens européens depuis 1806, a contracté par une longue expérience une pratique supérieure des hommes et des choses, une intelligence élevée, trouvant le calme et la sérénité dans les hautes régions où elle se complaît, un cœur vraiment noble qui sait avoir de la chaleur pour ses amis, de l’indulgence pour ses adversaires, et de sympathiques inclinations pour tous les genres de talent et de mérite. Si un homme eût dû s’attendre aux ménagemens et aux égards de la presse opposante, c’était certes M. Molé, auquel on ne saurait reprocher une élévation brusquement improvisée, que l’Europe reconnaît, depuis la mort du prince de Talleyrand, comme le véritable représentant de la diplomatie française. M. Molé est le premier diplomate du pays, comme le maréchal Soult est le premier soldat de notre armée. Mais nous avons, en France, la déplorable manie de dégrader nos propres illustrations, et d’insulter nous-mêmes ce qu’au sortir de nos frontières nous trouvons l’objet d’une vénération unanime. Avons-nous trop, cependant, de ces hommes glorieusement éprouvés au service de la France, dont les exemples et les traditions doivent être l’enseignement des générations arrivant aux affaires ? Quand les hommes publics sont animés d’un vrai patriotisme, ils ne cherchent pas à s’entredétruire, mais à s’enchaîner les uns aux autres, à se soutenir, à se compléter mutuellement. Ce respect pour les individualités éminentes est surtout un devoir chez les hommes plus jeunes qui doivent d’autant mieux rendre hommage