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que celui qu’on croit tenir de sa vocation et de son talent. Quand le publiciste, vraiment digne de ce nom, contemple avec désintéressement les intérêts généraux, les étudie dans leurs détails, s’efforce d’en saisir l’esprit et la portée, il s’associe presque dans l’opinion publique aux mérites et au rôle des hommes d’état qui dirigent la pratique du gouvernement. S’il n’agit pas, il peut éclairer ; il instruit le public comme il avertit le pouvoir, et ce ministère moral de critique officieuse n’est pas moins avantageux pour la société, qu’honorable pour celui qui l’exerce. Mais aussi plus l’honneur est grand, plus il est imprudent d’y prétendre sans des forces suffisantes. Tous les citoyens, indistinctement, ne montaient pas à la tribune d’Athènes ; le droit de s’y faire entendre était absolu, mais la parole n’était revendiquée que par les orateurs qui, sous les yeux du peuple, avaient fait une longue étude des affaires de la république. Par la même raison, la société demande aujourd’hui à ceux qui s’emparent de la plume de publiciste, quelles préparations, quels travaux établissent leur compétence ; elle ne les empêche pas d’élever leurs voix et de produire leur ambition, mais elle se réserve d’examiner si la voix est grave et l’ambition légitime. La France a, d’ailleurs, d’autant plus le droit d’être difficile, que sa littérature politique est plus riche et plus féconde ; depuis un siècle, de nombreux talens y ont brillé ; ne serait-il pas triste de laisser se dégrader l’héritage que nous ont transmis nos maîtres ? La censure de l’opinion est aussi plus éveillée dans les jours tranquilles comme ceux où nous sommes parvenus : quand les temps sont orageux, chacun peut mêler impunément ses cris aux tempêtes publiques ; car alors les hurlemens s’appellent de l’éloquence, le cynisme de l’énergie, la calomnie une noble audace. Mais lorsque les nuages n’obscurcissent plus l’horizon, la lumière, tombant d’aplomb sur l’insuffisance et la médiocrité, les dénonce sans pitié au mécontentement d’un public sévère. Je sais qu’il y a des degrés dans la presse politique, et qu’il serait injuste d’exiger de tous ceux qui veulent y occuper une place, les mêmes études et les mêmes aptitudes ; mais sans leur demander à tous originalité, science, profondeur, est-ce trop que d’exiger de tout homme qui rédige un journal, du bon sens et de la loyauté ; du bon sens, pour apprécier les dispositions, l’état, les besoins de la société dont il veut se faire lire et qu’il se propose d’influencer ; de la loyauté dans les débats qu’il institue sur les choses et sur les hommes, dans les censures dont il poursuit les dépositaires du pouvoir, dans les polémiques qu’il dirige contre les opinions et les théories de ses ad-