Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
SPIRIDION.

parut soulagé, et je succombai au sommeil ; mais au bout de peu d’instans, je fus réveillé de nouveau par le son d’une voix puissante qui ne ressemblait point à la sienne. — Non, tu ne m’as jamais connu, jamais compris, disait cette voix sévère ; je suis venu vers toi cent fois, et tu n’as pas osé m’appartenir une seule ; mais que peut-on attendre d’un moine, sinon l’incertitude, la couardise et le sophisme ? — Mais je t’ai aimé ! répondit la voix plaintive et affaiblie du père Alexis. Tu le sais, je t’ai imploré, je t’ai poursuivi ; j’ai employé toutes les puissances de mon être à pénétrer le sens de tes paraboles ; je t’ai invoqué à genoux ; j’ai délaissé le culte des Hébreux ; j’ai laissé le dieu des Juifs et des gentils se tordre douloureusement sur son gibet sanglant, sans lui accorder une larme, sans lui adresser une prière. — Et qui te l’avait commandé ainsi ? reprit la voix. Moine ignorant, philosophe sans entrailles ! martyr sans enthousiasme et sans foi ! t’ai-je jamais prescrit de mépriser le Nazaréen ? — Non, tu n’as jamais daigné te prononcer sur aucune chose, et tu n’as pas voulu faire voir la lumière à celui qui pour toi aurait passé par toutes les idolâtries ; tu le sais ! tu le sais ! si tu l’avais voulu, j’aurais déchiré le froc et ceint le glaive. J’aurais fait retentir ma parole et prêché ton évangile aux quatre coins de la terre ; j’y aurais porté le fer et la flamme ; j’aurais bouleversé la face des nations et imposé ton culte aux humains, du sud au septentrion, du couchant à l’aurore. J’avais la volonté, j’avais la puissance ; tu n’avais qu’à dire : Marche ! à mettre le flambeau dans ma main et marcher devant moi comme une étoile ; j’aurais, en ton nom, enchaîné les mers et transporté les montagnes. Que ne l’as-tu voulu ! tu aurais des autels, et j’aurais vécu ! tu serais un dieu, et je serais ton prophète !

— Oui, oui, dit la voix inconnue, tu avais l’orgueil et l’ambition en partage, et, si je t’avais encouragé, tu aurais consenti à être dieu toi-même. — Ô maître ! ne me méprise pas, ne me tourne pas en dérision ! J’avais ces instincts et je les ai refoulés. Tu as blâmé mes vœux téméraires, mon audace insensée, et je t’ai sacrifié tous mes rêves. Tu m’as dit que la violence ne gouvernait pas les siècles, et que l’Esprit n’habitait pas dans la vapeur du sang et dans le tumulte des armées. Tu m’as dit qu’il fallait le chercher dans l’ombre, dans la solitude, dans le silence et le recueillement. Tu m’as dit qu’on le trouvait dans l’étude, dans le renoncement, dans une vie humble et cachée, dans les veilles, dans la méditation, dans l’incessante aspiration de l’ame. Tu m’as dit de le chercher dans les entrailles de la terre, dans la poussière des livres, dans les vers du sépulcre, et je l’ai