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bonté de Dieu, mais de celle de mes intentions. J’ai peur du Seigneur, parce que j’ai peur de moi-même. Je m’attiédis, je me décourage, je me sens mourir, mon cerveau se trouble, et je ne distingue plus la voix du ciel de celle de l’enfer. Je cherche un appui ; fût-ce un maître impitoyable qui me châtiât sans cesse, je le préférerais à un père indulgent qui m’oublie.

— Pauvre ange égaré sur la terre ! dit le père Alexis avec attendrissement ; étincelle d’amour tombée de l’auréole du maître, et condamnée à couver sous la cendre de cette misérable vie ! Je reconnais à tes tourmens la nature divine qui m’anima dans ma jeunesse, avant qu’on eût épaissi sur mes yeux les ténèbres de l’endurcissement, avant qu’on eût glacé sous le cilice les battemens de ce cœur brûlant, avant qu’on eût rendu mes communications avec l’Esprit pénibles, rares, douloureuses, et à jamais incomplètes. Ils feront de toi ce qu’ils ont fait de moi. Ils rempliront ton esprit de doutes poignans, de puérils remords et d’imbécilles terreurs. Ils te rendront malade, vieux avant l’âge, infirme d’esprit ; et quand tu auras secoué tous les liens de l’ignorance et de l’imposture, quand tu te sentiras assez éclairé pour déchirer tous les voiles de la superstition, tu n’en auras plus la force. Ta fibre sera relâchée, ta vue trouble, ta main débile, ton cerveau paresseux et fatigué. Tu voudras lever les yeux vers les astres, et ta tête pesante retombera stupidement sur ta poitrine ; tu voudras lire, et des fantômes danseront devant tes yeux ; tu voudras te rappeler, et mille lueurs incertaines se joueront dans ta mémoire épuisée ; tu voudras méditer, et tu t’endormiras sur ta chaise. Et pendant ton sommeil, si l’Esprit te parle, ce sera en des termes si obscurs, que tu ne pourras les expliquer à ton réveil. Ah ! victime ! victime ! je te plains, et ne puis te sauver.

En parlant ainsi, il frissonnait comme un homme pris de fièvre ; son haleine brûlante semblait raréfier l’air de sa cellule, et on eût dit, à la langueur de son être, qu’il lui restait à peine quelques instans à vivre.

— Bon père Alexis, lui dis-je, votre tendresse pour moi est-elle donc déjà fatiguée ? J’ai été faible et craintif, il est vrai ; mais vous me sembliez si fort, si vivant, que je comptais retrouver en vous assez de chaleur pour me pardonner ma faute, pour l’effacer et pour me fortifier de nouveau. Mon ame retombe dans la mort avec la vôtre, ne pouvez-vous, comme hier, faire un miracle qui nous ranime tous les deux ?

— L’Esprit n’est point avec moi aujourd’hui, dit-il. Je suis triste,