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SPIRIDION.

corder ; mais l’Esprit te donnera la force de vaincre tous les obstacles, car il m’a prédit ta venue, et ce qui doit s’accomplir est dit.

Il se rassit sur son fauteuil, et tomba dans un profond sommeil. Je contemplai long-temps sa tête, empreinte d’une sérénité et d’une beauté surnaturelle, bien différente en ce moment de ce qu’elle m’était apparue d’abord ; puis, baisant avec amour le bord de sa robe grise, je me retirai sans bruit.

Quand je ne fus plus sous le charme de sa présence, ce qui s’était passé entre lui et moi me fit l’effet d’un songe. Moi, si croyant, si orthodoxe dans mes études et dans mes intentions ; moi, que le seul mot d’hérésie faisait frémir de crainte et d’horreur, par quelles paroles avais-je donc été fasciné ? et par quelle formule avais-je laissé unir clandestinement ma destinée à cette destinée inconnue ? Alexis m’avait soufflé l’esprit de révolte contre mes supérieurs, contre ces hommes que je devais croire et que j’avais toujours crus infaillibles. Il m’avait parlé d’eux avec un profond mépris, avec une haine concentrée, et je m’étais laissé surprendre par les figures et l’obscurité de son langage. Maintenant ma mémoire me retraçait tout ce qui eût dû me faire douter de sa foi, et je me souvenais avec terreur de lui avoir entendu citer et invoquer à chaque instant l’Esprit, sans qu’il y joignît jamais l’épithète consacrée par laquelle nous désignons la troisième personne de la Trinité divine. C’était peut-être au nom du malin esprit qu’il m’avait imposé les mains. Peut-être avais-je fait alliance avec les esprits des ténèbres en recevant les caresses et les consolations de ce moine suspect. Je fus troublé, agité ; je ne pus fermer l’œil de la nuit. Comme la veille, je fus oublié et abandonné. De même que la nuit précédente, je m’endormis au jour et me réveillai tard. J’eus honte alors d’avoir manqué depuis tant d’heures à mes exercices de piété ; je me rendis à l’église, et je priai ardemment l’Esprit saint de m’éclairer et de me préserver des embûches du tentateur.

Je me sentis si triste et si peu fortifié au sortir de l’église, que je me crus dans une voie de perdition, et je résolus d’aller me confesser. J’écrivis un mot au père Hégésipe pour le supplier de m’entendre ; mais il me fit faire verbalement, par un des convers les plus grossiers, une réponse méprisante et un refus positif. En même temps ce convers m’intima, de la part du prieur, l’ordre de sortir de l’église et de n’y jamais mettre les pieds avant la fin des offices du soir. Encore si un religieux prolongeait sa prière dans le chœur, ou y rentrait pour s’y livrer à quelque acte de dévotion particulière, je devais