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lui retires cette flèche, aussitôt celle qui te traverse tombera, ta plaie sera fermée, et tu vivras. »

— Mon père, lui dis-je, je ne connais point ce texte, je ne l’ai rencontré nulle part.

— C’est que tu connais peu de choses, me répondit-il en posant amicalement sa main sur ma tête, c’est que tu n’as point encore rencontré la main qui doit guérir ta blessure ; moi, je comprends la parole de l’Esprit, et je te connais. Tu es celui qui devait venir vers moi, je te reconnais à cette heure, et ta chevelure est blonde comme la chevelure de celui qui t’envoie. Mon fils, sois béni, et que le pouvoir de l’Esprit s’accomplisse en toi… Tu es mon fils bien-aimé, et c’est en toi que je mettrai toute mon affection.

Il me pressa sur son sein, et levant les yeux au ciel, il me parut sublime. Son visage prit une expression que je n’avais vue que dans ces têtes de saints et d’apôtres, chefs-d’œuvre de peinture qui ornaient l’église du couvent. Ce que j’avais pris pour de l’égarement eut à mes yeux le caractère de l’inspiration. Je crus voir un archange, et pliant les deux genoux, je me prosternai devant lui.

Il m’imposa les mains, en disant : « Cesse de souffrir ! que la flèche acérée de la douleur cesse de déchirer ton sein ; que le dard empoisonné de l’injustice et de la persécution cesse de percer ta poitrine ; que le sang de ton cœur cesse d’arroser des marbres insensibles. Sois consolé, sois guéri, sois fort, sois béni. Lève-toi !

Je me relevai et sentis mon ame inondée d’une telle consolation, mon esprit raffermi par une espérance si vive, que je m’écriai : Oui, un miracle s’est accompli en moi, et je reconnais maintenant que vous êtes un saint devant le Seigneur.

— Ne parle pas ainsi, mon enfant, d’un homme faible et malheureux, me dit-il avec tristesse ; je suis un être ignorant et borné, dont l’Esprit a eu pitié quelquefois. Qu’il soit loué à cette heure, puisque j’ai eu la puissance de te guérir. Va en paix ; sois prudent, ne me parle en présence de personne, et ne viens me voir qu’en secret.

— Ne me renvoyez pas encore, mon père, lui dis-je, car qui sait quand je pourrai revenir ? Il y a des peines si sévères contre ceux qui approchent de votre laboratoire, que je serai peut-être bien longtemps avant de pouvoir goûter de nouveau la douceur de votre entretien.

— Il faut que je te quitte et que je consulte, répondit le père Alexis. Il est possible qu’on te persécute pour la tendresse que tu vas m’ac-