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signe qui défend d’approcher de mon laboratoire ? Vous exposez votre vie et la mienne : allez-vous-en ! — J’obéis tristement, et je me retirais à pas lents, découragé, brisé de douleurs, le long de la galerie extérieure par laquelle j’étais venu. Il m’avait suivi jusqu’en dehors, comme pour s’assurer que je m’éloignais. Lorsque j’eus atteint l’escalier, je me retournai et je le vis debout, l’œil toujours enflammé de colère, les lèvres contractées par la méfiance. D’un geste impérieux il m’ordonna de m’éloigner. J’essayai d’obéir ; je n’avais plus la force de marcher, je n’avais plus celle de vivre ; je perdis l’équilibre, je roulai quelques marches, je faillis être entraîné dans ma chute par-dessus la rampe, et du haut de la tour me briser sur le pavé. Le père Alexis s’élança vers moi avec la force et l’agilité d’un chat ; il me saisit, et me soutenant dans ses bras : — Qu’avez-vous donc ? me dit-il d’un ton brusque, mais plein de sollicitude, êtes-vous malade, êtes vous désespéré, êtes-vous fou ? — Je balbutiai quelques paroles, et cachant ma tête dans sa poitrine, je fondis en larmes. Il m’emporta alors comme si j’eusse été un enfant au berceau, et entrant dans sa cellule, il me déposa sur son fauteuil, frotta mes tempes d’une liqueur spiritueuse, et en humecta mes narines et mes lèvres froides ; puis, voyant que je reprenais mes esprits, il m’interrogea avec douceur. Alors je lui ouvris mon ame tout entière ; je lui racontai les angoises auxquelles on m’abandonnait, jusqu’à me refuser le secours de la confession ; je protestai de mon innocence, de mes bonnes intentions, de ma patience, et je me plaignis amèrement de n’avoir pas un seul ami pour me consoler et me fortifier dans cette épreuve au-dessus de mes forces.

Il m’écouta d’abord avec un reste de crainte et de méfiance ; puis son front austère s’éclaircit peu à peu, et comme j’achevais le récit de mes peines, je vis de grosses larmes ruisseler sur ses joues creuses.

— Pauvre enfant, me dit-il, voilà bien ce qu’ils m’ont fait souffrir ! victime ! victime de l’ignorance et de l’imposture !

À ces paroles, je crus reconnaître la voix que j’avais entendue dans la sacristie, et cessant de m’en inquiéter, je ne songeai plus à lui demander l’explication de cette aventure ; seulement je fus frappé du sens de cette exclamation, et voyant qu’il demeurait comme plongé en lui-même, je le suppliai de me faire entendre encore sa voix amie, si douce à mon oreille, si chère à mon cœur, au milieu de ma détresse.

— Jeune homme, me dit-il, avez-vous compris ce que vous fesiez