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à la science, à la Grèce, à l’Europe ; et n’ai-je pas raison de déposer ainsi, sans réserve, bien que sans espoir, ma douleur d’antiquaire dans votre sein de philhellène ?

J’avais trop à souffrir du chagrin que je viens de vous confier, dans les premiers temps de mon séjour à Athènes, pour que l’impression qui m’en reste au bout de six semaines ne soit pas encore très vive ; et, comme cette douleur se renouvelle chaque jour, et, pour ainsi dire, à chaque pas, je suis bien obligé de détourner, le plus que je puis, mes yeux de cette ville nouvelle qui me choque et m’afflige, pour les fixer, au-dessus d’elle, sur ce qu’on ne se lasse jamais de voir et d’admirer, l’Acropole d’Athènes ! Vous aussi, mon cher ami, vous l’avez vue et admirée ; mais, pour y arriver, vous étiez obligé de traverser toute une enceinte de fortifications barbares ; vous aviez un bastion à tourner, une batterie à franchir, puis une autre batterie. Arrivé au pied des Propylées, vous cherchiez encore les Propylées. Vous aviez devant vous un magasin à poudre, enfermé entre de grossières murailles, du milieu desquelles vous aviez peine à dégager, par la pensée, les colonnes qui s’y trouvaient emprisonnées. En poursuivant votre chemin, dans l’étroit passage qui s’ouvrait à votre droite, vous cherchiez à cette place le temple de la Victoire sans ailes, et vous ne le trouviez plus. C’est bien là cependant, vous disiez-vous, en tenant à la main le livre de Pausanias, c’est bien là l’endroit de l’Acropole, d’où la vue s’étend jusqu’à la mer, et d’où Égée, l’œil fixé sur le vaisseau qui portait Thésée vainqueur du minotaure, et qui devait s’annoncer de loin par ses voiles blanches, se précipita, trompé par les voiles noires qu’il apercevait à l’horizon. C’est donc aussi à cet endroit qu’avait dû exister le temple de la Victoire sans ailes : mais ce temple que le canon des Vénitiens avait abattu en 1687, la main des Turcs en avait dispersé les matériaux, enfoui les marbres, et rendu la place même méconnaissable. Parvenu, enfin, sur l’Acropole, toujours en cherchant les Propylées, vous vouliez du moins découvrir la Pinacothèque, qui formait l’aile gauche de ce magnifique vestibule, et vous ne trouviez, au-dessous d’un amas de maisons turques, qu’une salle remplie de décombres aux trois quarts de sa hauteur, cette même salle dont l’architecte Stuart s’était efforcé de faire le temple de la Victoire, dans l’impuissance où il était de le retrouver quelque part. Tout était ainsi défiguré ou abîmé sous des constructions barbares ; l’œuvre du génie restait cachée aux yeux même de la science, et vous vous trouviez sur l’Acropole, où l’on ne pouvait arriver que par les Propylées, sans avoir encore aperçu les Propylées.

Maintenant, que diriez-vous, si, après avoir franchi ce premier mur d’enceinte, qui s’appuie, d’un côté, sur les murs pélasgiques, de l’autre, sur la muraille de Cimon, vous vous trouviez au pied de la rampe des Propylées, en face de ce vestibule dont les colonnes, debout à leur place antique et dégagées à leur base, laissent ainsi entièrement libre tout l’espace que remplissait jadis la pompe des Panathénées ? Que diriez-vous, si, pouvant vous élever sans obstacle sur ces degrés encore encombrés de terre et de débris, sur ces mêmes degrés où s’agenouilla la Grèce entière,