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ATHÈNES SOUS LE ROI OTHON.

cité on eût pu bâtir, à la place de votre pauvre et chétive Argos, entre Mycènes et Nauplie, à une distance presque égale des souvenirs de la royauté homérique et de ceux de l’indépendance hellénique, dans une plaine vaste et fertile, au fond d’un beau golfe, dont Hydra, fièrement assise sur ses rochers imprenables, garde l’entrée, en y faisant briller, en guise de phare, le double éclat des prodiges de sa marine et des richesses de son commerce ! ou bien, à Corinthe, au centre de la Grèce, entre son continent et ses îles, sur l’isthme qui joint les deux mers qui la baignent ; ou bien enfin, dans ce port même du Pirée, où furent jetés par le génie de Thémistocle les fondemens de la puissance d’Athènes, et où de nouveaux élémens de fortune et de gloire pouvaient éclore sous l’influence d’une civilisation nouvelle ! Vous conviendrez que le Pirée, avec ses trois ports, sans compter ceux de Munychie et de Phalère, qui s’ouvrent à la gauche, pour le commerce de la Grèce ; avec la rade de Salamine, suffisante pour les escadres de l’Europe ; avec cette belle et fertile plaine de l’Attique, qui s’étend sur un espace de plus de trois lieues jusqu’au pied du Pentélique et de l’Hymette ; enfin, avec cette chaîne de ravissantes collines qui forment, appuyées au Parnès, la ceinture de l’Attique du côté de la Mégaride et de la Béotie, offrirait, pour une ville où l’on voudrait faire revivre les destinées de la Grèce antique, à l’aide des ressources de l’Europe moderne, l’emplacement le plus favorable ; tandis qu’à deux lieues de là, on eût conservé intact tout un trésor d’antiquités, qui eût été, pour l’homme éclairé de tous les pays et de tous les âges, un champ inépuisable de méditations et d’études. On eût donc pu bâtir, pour nos goûts actuels, pour nos habitudes modernes, une ville toute nouvelle au Pirée, une ville où l’on eût trouvé les ressources et les jouissances de Naples et de Berlin, de Munich et de Paris ; mais en même temps on eût exhumé la ville de Périclès et d’Euripide, pour montrer, dans le moindre fragment qui en subsiste, ce qu’était la civilisation d’une autre Grèce et le génie d’une autre époque. L’ancienne et la nouvelle Athènes, si voisines et si dissemblables l’une de l’autre, auraient offert, sur le même terrain, sous le même ciel, le spectacle le plus intéressant et le plus instructif qu’il y eût au monde. Athènes antique eût conservé tout ce qui reste d’elle ; Athènes nouvelle n’eût rien perdu de ce qu’elle peut produire, et les deux capitales de la Grèce, à vingt-cinq siècles de distance, se seraient trouvées rapprochées sous un même sceptre, sans que la ville d’Othon nuisît à celle de Périclès. Mais cette illusion d’un antiquaire, qui pouvait devenir la pensée d’un homme d’état, n’est plus qu’un rêve à jamais évanoui. Une occasion, peut-être unique dans l’histoire du genre humain, est perdue, irréparablement perdue. On ne découvrira pas l’antique Athènes ; loin de là, on continuera d’abattre ou d’enfouir ce qui en reste. Pour la nouvelle Athènes, elle continuera aussi de s’élever comme elle a commencé, avec des palais en face de masures, avec des temples tudesques auprès d’églises bysantines, avec des idées et des matériaux empruntés de tous côtés, pour produire quelque chose qui se rencontre partout, et qui ne ressemble à rien. Voilà ce qu’une pensée allemande a coûté d’un seul coup